Des cobayes humains en enfer (18/03/2006)
Un essai clinique qui tourne mal. Deux des cobayes humains sont toujours
dans le coma
LONDRES « Il ne serait pas raisonnable de formuler un pronostic». Voilà la
dernière déclaration alarmante faite par le docteur Ganesh Suntharalingam,
chef du service des soins intensifs du Northwick Park Hospital de Londres.
Effroyable ce triste constat, quand on sait que depuis mardi, deux jeunes
hommes sont plongés dans un coma artificiel, tandis que quatre autres sont
dans un état grave. Effroyable surtout quand on sait qu'il y a quelques
jours, en pleine santé, ces hommes avaient décidé de participer à un essai
clinique.
C'était lundi. Ils étaient huit à s'être levés à l'aube pour se voir
administrer, à titre de cobaye humain, un nouveau médicament destiné à
soigner la leucémie et plusieurs scléroses. Mais voilà. Quelques minutes à
peine après l'injection de la première dose de TGN 1412, ce qui aurait pu se
révéler comme une avancée médicale a tourné au drame. Raste Khan, 24 ans,
faisait partie de ces huit volontaires. Par chance, lui et un autre patient
ont reçu un placebo à la place du médicament. Mais Raste a assisté à
l'agonie de ses compagnons d'infortune. En l'espace de cinq minutes, les six
patients sous TGN 1412 ont commencé à trembler et à vomir. Raste Khan se
souvient de ses camarades, demandant de l'aide: «Il y en avait qui criaient
que leur tête allait exploser, a-t-il expliqué au Daily Mail. C'était
terrifiant. C'était comme la roulette russe. Deux d'entre nous s'en sont
sortis et ont eu de la chance. Les autres tombaient comme des dominos». Des
souvenirs d'horreur reviennent à la mémoire de Raste. «Ils se tenaient la
tête. Un des gars disait: Je brûle!». Plus de trois heures après les
premières injections de doses, les alarmes dans cette unité de l'hôpital
londonien ont retenti. «Ça avait l'air surréaliste. C'était comme dans un
film, comme si on était dans une maison de fous». Les familles des
volontaires ont alors été prévenues que les choses avaient mal tourné. Le
cauchemar a alors commencé pour elles. Comme l'explique une des proches de
Ryan Wilson, 21 ans, l'un des patients aujourd'hui dans un état grave: «sa
tête avait triplé de volume. Sa peau était devenue mauve. En le voyant, on
ne l'a pas reconnu». La vision d'horreur qui s'offrait aux yeux des proches
de ce cobaye humain était renforcée par les diagnostics des médecins. «On
nous a dit qu'on ne pouvait pas nous donner d'espoir. Ils n'ont aucune idée
de la façon dont il faut le soigner étant donné qu'ils ne savent rien au
sujet du médicament administré».
Aujourd'hui, ces familles vivent dans le doute et réclament d'abord des
excuses de la part de TeGenero, le fabricant allemand de ce TGN 412, mais
surtout des explications. Car si Raste Khan, encore chanceux dans ce
malheur, est prêt a à nouveau servir de cobaye, il n'oublie pas que six
jeunes hommes d'une vingtaine d'années ont, au périple de leur vie, voulu
aider la science, contre quelques billets. «Mais 2.000 livres (environ 3.000
euros) ne valent pas la vie. Et on ne peut pas sauver la vie de quelqu'un en
mettant un terme à celle de quelqu'un d'autre». Ch. Vanbever
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Où est l'erreur? Les causes de ce drame demeurent inconnues
BRUXELLES "Dans la littéra-ture, c'est la première fois qu'une chose
pareille a lieu", explique Marie Gabrielle Di Matteo, responsable des
soumissions au comité d'éthi-que de l'Institut Pfizer, très réputé en
Belgique et n'ayant, précisons-le, aucun lien avec la société
pharma-ceutique allemande en cause. "On est, dans le milieu de la recherche,
évi-demment tous estomaqués", continue-t-elle. D'autant plus que, pour
l'instant, aucune information claire n'a été donnée par TeGenero.
les seuls mots provenant du fabri-cant ont été les suivants: "Le TGN1412 a
été testé largement en la-boratoires ainsi que sur des lapins et des singes,
pour la sécurité". Le médi-cament avait en effet été aupara-vant approuvé
par le MHRA (Medici-nes and Healthcare products Regula-tory Agency),
l'agence agréée en Grande-Bretagne pour le test de mé-dicaments, ainsi que
par le comité local d'éthique. Alors, erreur de do-sage, produit à la base
déficient, ef-fets inattendus? Toutes les théories sont pour l'instant
avancées. D'autant plus que, comme le pré-cise la spécialiste Marie
Gabrielle Di Matteo, "sur cette catégorie de médi-caments (ici des
anticorps), on a très peu de recul car ils n'existent pas de-puis très
longtemps".
Selon certaines rumeurs, lors des tests préalables, un chien auquel on
aurait injecté une dose de ce TGN1412 serait mort. Selon Ann Alexander,
l'avocate d'une des victi-mes qui se confiait au Daily Mail: "On se demande
si le médicament avait bel et bien été testé avec succès sur les animaux
auparavant". Des doutes que s'empresse de balayer l'un des scientifiques de
TeGenero: "Nous n'avons constaté aucun effet secondaire après injection de
ce médi-cament aux animaux et il n'y a pas non plus eu de décès". Mais
l'état des cobayes humains est, lui, très inquié-tant. On estime d'ailleurs
déjà l'in-demnisation aux victimes à quelque 10 millions de livres sterling,
soit 15 millions d'euros.
Ch.V.
Source La Dernière Heure 2006