Législation. Vers un nouveau statut pour les bêtes : «bien sensible».
«Tous les animaux naissent libres et égaux...»
Par Brigitte VITAL-DURAND
vendredi 27 mai 2005 (Liberation - 06:00)
Les animaux vont-ils bénéficier d'un statut juridique bien à eux ? Cette
importante question, qui touche à la philosophie du droit civil et à la
«dignité animale», est en train de trouver une réponse positive. Après deux cents ans de relégation au royaume des simples biens appartenant à l'homme, chiens, chats, chevaux, vaches et tous animaux domestiques, d'élevage, de cirque et de laboratoire sont en train d'accéder à un stade supérieur : celui du «bien sensible». Des juristes sont en train de réfléchir à la création d'une classification nouvelle qui serait placée juste au-dessous de la zone humaine. Mais désormais distincte du monde des choses.
L'affaire remonte au 4 mars 2004. Les grandes associations de défense des animaux reçues à Matignon demandent alors à Jean-Pierre Raffarin de «mettre à l'étude un statut juridique de l'animal conforme à ses caractéristiques d'être vivant et sensible». En juin 2004, le garde des Sceaux confie une mission de réflexion à Suzanne Antoine, présidente de chambre honoraire à la cour d'appel de Paris, et trésorière de la Ligue française des droits de l'animal.
Cette militante dévouée à la cause animale a présenté à la mi-mai le
résultat de ses réflexions à la chancellerie. Dominique Perben lui-même se
montre favorable à une réforme de la «conception même de l'animal en droit civil». «Ça fait dix ans que je tourne autour du problème ! Il était temps», soupire Suzanne Antoine qui a consulté toutes les associations, ainsi que d'éminents juristes comme Jean-Marie Coulon, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris et également ardent défenseur des animaux.
Les rédacteurs du Code civil avaient conçu, en 1804, deux grandes catégories pour définir le patrimoine : les «biens meubles», qui recouvrent tout ce que l'on peut bouger (tables, chaises, bijoux, et, symboliquement, actions, obligations, etc.) et les «biens immeubles» (maisons, jardins, bois, terres, etc.). Les rédacteurs avaient classé les animaux appartenant aux hommes dans la première catégorie, la faune sauvage qui n'appartient à personne relevant du code de l'environnement.
Deux siècles ont passé. La pensée zoophile est en constante évolution : la
sensibilité à la cause animale ne cesse de croître (les Français vivent avec
environ 18 millions de chiens et chats, qu'ils traitent parfois comme leurs
propres enfants). La science a démontré que certaines bêtes, comme le
chimpanzé, partagent jusqu'à 99,5 % de gènes en commun avec l'homme. Dans son rapport, Suzanne Antoine note qu'une philosophe italienne, Paola Cavalieri, souhaite voir élaborer pour ces grands singes des «droits semblables à ceux des êtres humains». Sans aller si loin, la réforme à venir se contentera de «déréifier» l'animal, en créant donc une troisième catégorie de bien, le novateur «bien sensible».
Grand pas en avant pour la France, mais il faut savoir que la
Grande-Bretagne qui n'a pas de Code civil envisage d'instaurer un
«véritable statut juridique de l'animal domestique», et l'Autriche s'apprête
à inclure le «bien-être» animal dans les objectifs de sa Constitution.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=299404