Frédéric Jiguet, maître de conférences au Muséum national d'histoire naturelle
La France a perdu 10 % de ses oiseaux nicheurs
LE MONDE | 20.06.09 | 13h52 • Mis à jour le 20.06.09 | 15h53
Quel est l'état de la biodiversité en France ? Comment les oiseaux,
les papillons, les plantes se portent-ils ? Quelles conséquences les
changements actuels ont-ils sur ces espèces ?
Pour mieux répondre, le
programme "Vigie-Nature" du Muséum national d'histoire naturelle
fédère, dans tout le pays, des réseaux d'observateurs naturalistes
volontaires. Le plus ancien, chargé du Suivi temporel des oiseaux
communs (STOC), vient de fêter ses vingt ans. Frédéric Jiguet, maître
de conférences au Muséum, décrit les grandes évolutions révélées par
ce suivi, sensiblement identiques dans tous les pays d'Europe.
245 ESPÈCES OBSERVÉES
Espèces "contactées". En 2008, 245 espèces différentes ont été
repérées dans le cadre du Suivi temporel des oiseaux communs (STOC),
dont 148 avec des effectifs d'au moins 50 individus. L'espèce la plus
rencontrée est l'étourneau sansonnet, suivi par la corneille noire,
le merle noir, le pinson des arbres et le pigeon ramier.
Espèces menacées. Entre 2001 et 2008, les effectifs observés ont
décliné pour six espèces classées vulnérables sur la liste rouge des
oiseaux nicheurs de France : le tarier des prés (- 76 %), la linotte
mélodieuse (- 71 %), le pipit farlouse (- 65 %), le pouillot siffleur
(- 65 %), le bouvreuil pivoine (- 63 %) et le gobemouche gris (- 57 %).
Raisons du déclin. Surtout la dégradation des habitats et le
réchauffement climatique. Une analyse des taux de croissance de 71
espèces sur 17 ans a montré que les espèces septentrionales, en
France, sont plus en déclin.
Vous êtes le coordinateur scientifique du programme STOC. Quels en
sont les principaux résultats ?
En vingt ans, toutes espèces confondues, la France a perdu 10 % des
oiseaux communs nichant sur son territoire. Les plus touchés sont les
espèces urbaines (- 20 %) et les espèces agricoles (- 20 %), puis les
espèces forestières (- 11 %). Par ailleurs, on constate un déplacement global des populations de 100 km vers le nord,
conséquence du réchauffement climatique.
Comment ce programme d'observation fonctionne-t-il ?
Grâce à plus d'un millier d'ornithologues bénévoles, déployés sur
l'ensemble de la France. Chacun de ces volontaires assure le suivi
d'un "carré" de 2 km sur 2 km, tiré au sort dans un rayon de 10 km
autour du centre de sa commune. Sur ce carré, deux fois chaque
printemps, il réalise dix "points d'écoute" de cinq minutes chacun,
durant lesquels il relève tous les oiseaux qu'il voit et qu'il
entend. En 2008, 9 000 points d'écoute ont ainsi été réalisés dans 90
départements. Et les carrés qui ont été comptés au moins une fois
depuis 2001 représentent un peu plus de 1,3 % de la superficie de la
France.
Comment votre groupe d'observateurs a-t-il été constitué ?
Essentiellement sur la base de coordinations régionales et
départementales. Plus le réseau est décentralisé, mieux il
fonctionne. Au niveau local, les gens se connaissent, et organisent
naturellement des systèmes de formation : avant de se lancer, il
n'est pas rare qu'un observateur en herbe accompagne pendant un an ou
deux un ornithologue plus expérimenté. Résultat : à mesure que les
années passent, on voit nos points d'écoute augmenter.
Or, plus il y a de points d'écoute, plus on dispose de données
fiables sur des espèces un peu moins communes. Avec seulement 150
sites, nos données n'ont longtemps permis de repérer de façon fiable
qu'une centaine d'espèces. Alors qu'avec 1 085 carrés en 2008, nous
commençons à pouvoir suivre les 150 espèces les plus communes.
Quels sont les équivalents du STOC à l'échelle de l'Europe, et quel est leur bilan ?
Actuellement, vingt et un pays européens sont impliqués dans le
recensement des populations d'oiseaux nicheurs, dont certains hors de
l'Union (Norvège, Turquie, Russie). Les méthodes de relevé diffèrent
légèrement d'un pays à l'autre, mais le principe est le même.
Et nous mettons toutes nos données en commun. Celles-ci montrent que
la tendance observée pour la France est loin de lui être spécifique.
Si l'on considère le type d'habitat occupé par les oiseaux recensés,
on peut les regrouper en quatre grands groupes : des espèces
respectivement "spécialistes" des milieux agricoles, forestiers ou
bâtis, et des espèces généralistes. Ce qui est global à l'Europe, et
même au-delà, c'est le déclin marqué des "spécialistes". Cette
réduction ne concerne pas seulement les oiseaux, mais aussi les
mammifères, les araignées, les poissons et les plantes. Les
généralistes, en revanche, sont parfois en augmentation, en France
comme en Europe.
Le programme "Vigie-Nature" a récemment étendu sa mission de suivi à d'autres espèces...
Les oiseaux seuls ne peuvent pas nous informer sur l'évolution de
l'ensemble de la biodiversité. Le Muséum a donc décidé de développer
des suivis sur d'autres groupes animaux et végétaux : les chauves-
souris et les papillons depuis 2006 et, depuis cette année, les
escargots et les plantes. Trois autres projets sont à l'étude, sur
les pollinisateurs, la biodiversité des zones humides et celle du
milieu marin. Le principe est toujours le même : proposer des
méthodes simples permettant de suivre l'abondance des espèces
communes. Et tenter de motiver le plus grand nombre possible de
participants, naturalistes amateurs ou éclairés.
Toutes les données de ce programme sont accessibles sur Internet. Est - ce un élément important de sa réussite ?
C'est important pour le grand public et pour les autorités concernées, qui peuvent consulter nos résultats à tout moment. Et
c'est très gratifiant pour les bénévoles participant à la collecte
des données, qui voient que leur travail ne reste pas réservé à une
poignée de scientifiques. Cela renforce une des grandes vertus de ce
programme, qui est d'impliquer les citoyens : en s'appropriant les
résultats, ils deviennent plus intéressés et plus responsables.
La sensibilité du grand public à la biodiversité a-t-elle changé ?
Dans les années 1970-1980, on voulait sauver les espèces rares. La
prise de conscience de l'urgence qu'il y avait à se préoccuper des
espèces de tous les jours a été plus tardive, mais on y arrive.
On l'a vu aux élections européennes : la sensibilité à la protection
de la nature est aujourd'hui beaucoup plus forte que naguère. Il y a
là un terreau dont la biodiversité peut bénéficier.
Propos recueillis par Catherine Vincent
Article paru dans l'édition du 21.06.09.