Emilie Plateau
Outre-Manche, on les appelle les flexitarians. Bon pour la santé et la planète, ce végétarisme à temps partiel gagne du terrain. Soya, une jolie cantine 100 % bio éclose récemment dans l'est de la capitale. A l'ardoise, des salades, des tians, du couscous de légumes. A l'ouverture, on y servait aussi du poulet. "Sous la pression de mon entourage, qui me répétait que, sans viande ni poisson, je courais à la catastrophe", raconte Christel Dhuit. Au bout de quelques mois, cette végétarienne convaincue escamote la volaille. "Mais le côté 100% végétal, contrairement au bio, je ne le claironne pas sur la carte. Rien de pire que l'étiquette "restaurant végétarien"!" A base de protéines de soja, ses lasagnes "bolognaises" font un tabac. "Si vous saviez le nombre de gens qui se font avoir!", s'amuse la chef.
"Le gigot saignant, ça me dégoûte un peu" Pour séduire, chez nous, le végétarisme doit parfois avancer masqué. Ou prendre des chemins de traverse. Pour Nico et Perrine, jeune couple parisien, c'est la découverte de la planète bio qui a tout changé. Fans de leur supermarché Naturalia flambant neuf - rien à voir avec les sinistres boutiques de "produits naturels" d'antan - ils s'étonnent: "On mange de moins en moins de viande! Nico craque encore parfois pour une belle entrecôte, moi, rarement. Même pour les copains, on cuisine plein de légumes et de céréales. Maintenant, chez ma mère, le gigot saignant, ça me dégoûte un peu", note Perrine. Inavouable, bien sûr, à une maman landaise championne de foie gras.
Les "flexitarians" Comme les habitués de Soya, ils font partie d'une tribu émergente. Celle des "pas tout à fait végétariens mais plus vraiment carnivores" qui, en passant par la case bio, ont peu à peu décroché de la viande. Ils s'offrent à l'occasion un shoot de barbaque AOC, sans replonger pour autant. Dans les pays anglo-saxons, on les appelle les "flexitarians". En France, on sait juste que la consommation de viande, rouge notamment, diminue depuis la crise de la vache folle. Nos néo-veggies à temps partiel y ont sans doute plus d'avenir que les végétariens "officiels", perçus comme un ramassis de vieux babas sectaires.
Ceux-ci sont divisés en groupuscules rivaux - l'Association végétarienne de France (AVF), la plus importante, ne compte que 1 000 adhérents -, et peinent à délivrer un message simple et fédérateur: l'élevage industriel étant responsable de 18% des gaz à effet de serre (Selon la FAO - chiffres 2006 - soit plus que le secteur des transports), réduire notre consommation est une urgence absolue. Et éviterait de sacrifier des millions d'animaux et de dévaster l'Amazonie pour y cultiver du soja. Certes, la com' du puissant lobby des éleveurs ne les y aide pas. "En France, on a toujours une image d'Epinal de l'agriculture: Belle des Champs qui trait sa vache assise sur son trépied! Comme si la vache laitière ne finissait pas, elle aussi, à l'abattoir!" tempête Sébastien David, créateur du site VG-Zone et organisateur du Paris Vegan Day.
Lundi, c'est veggie Aux Etats-Unis, où 98% de la viande vient des
farm factories (fermes usines), et où la culture burger-barbecue est responsable, au premier chef, de l'obésité et des accidents cardio-vasculaires, cet angélisme n'est plus de mise. Alors, la résistance s'organise, portée par des figures charismatiques. Et les
vegans (végétaliens) les plus radicaux haussent le ton: le musicien Moby a publié, au printemps dernier, Gristle, "cartilage" en VF, retentissant pamphlet contre la consommation de la viande. Et dit souvent qu'une question, une seule, préside à ses choix alimentaires: aurais-je pu, à titre personnel, prendre part au processus qui a mené cet aliment dans mon assiette?
Emilie Plateau
Vous reprendrez bien un peu de spare ribs? C'est aussi le credo de la Peta (People for the Ethical Treatment of Animals), l'organisation de défense des animaux connue pour ses campagnes antifourrure choc et glam'. Dans ses spots télé, elle fait témoigner Forest Whitaker, Joaquin Phoenix, ou Casey Affleck, qui dénonce une industrie qui "empoisonne les humains et torture les animaux" sur fond de cadavres sanguinolents. Vous reprendrez bien un peu de spare ribs? Non merci. Surtout après la lecture d'
Eating Animals (Editions Little, Brown & Company, 2009. Ce livre sera traduit et publié au début de 2011 par les éditions de l'Olivier), le dernier Jonathan Safran Foer. L'auteur encensé d'
Extrêmement fort et incroyablement près y joue les carnivores repentis: il a passé trois ans à enquêter sur l'élevage industriel, raids nocturnes dans des poulaillers à la
Chicken Run compris... Dérangeant, son livre vous transporte dans le cerveau affolé d'un poulet de batterie piétiné par ses congénères.
La "journée sans viande" passée... inaperçue "Si les abattoirs avaient des fenêtres, personne ne mangerait de viande": l'aphorisme est de Paul McCartney. En juin 2009, avec sa fille Stella, très engagée aussi, il lançait, à Londres, les
Meat Free Mondays (lundis sans viande), mouvement international en faveur d'un jour d'abstinence carnée hebdomadaire. Née dans la ville belge de Gand, l'initiative prend de l'ampleur en Grande-Bretagne, avec de
rich and famous sympathisants, comme les Gwyneth Paltrow, Chris Martin ou Richard Branson. Aux Etats-Unis, où des sites people se consacrent uniquement aux stars veggie, de nombreux élus et la principale entreprise de restauration collective ont aussi adopté le lundi
veggie. Chez nous? Euh... L'AVF a organisé le 20 mars dernier une "journée sans viande" passée... remarquablement inaperçue, et son site, Unjoursansviande.fr, s'il encense l'expérience gantoise, ignore la déclinaison londonienne (trop paillettes?). Deux ou trois cantines scolaires ont tenté l'expérience. Mais au rayon célébrités, l'inoxydable B.B. s'égosille dans le désert. Qui sera la première star française à imposer par contrat des repas sans viande sur un tournage, comme ça se pratique à Hollywood?
Dur de renoncer à la "culture bidoche" "La Fnac planque encore les bouquins de cuisine végétarienne au rayon santé et bien être, comme s'ils n'avaient rien à voir avec la gourmandise", déplore Sébastien David. Qui rattrape le coup? Les blogueuses, comme toujours. Trentenaires ayant pignon sur Toile, Cléa (CleaCuisine), ou Clotilde Dussoulier (Chocolate & Zucchini) se reconnaissent dans la mouvance "flexitarienne". Dans leur génération, la "culture bidoche" perd du terrain. "Même si c'est plus long chez les garçons", s'amuse Clotilde, qui mange végétarien "sept fois sur dix, et systématiquement quand mon copain n'est pas là!" A ceux qui redouteraient un déficit de protéines, on conseille le tout nouveau Haché végétal de Sojasun, pile dans l'air du temps, substitut carné assez convaincant. Faites sinon comme Mark Bittman, célèbre chroniqueur culinaire du New York Times, qui préfère le VU6
(Vegan until 6). Traduction: mangez strictement
vegan chaque jour jusqu'au dîner, après, faites ce qu'il vous plaît. Nettement plus festif et convivial, non?
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