Soja : l'effet d'une pilule contraceptive sur les enfants ?« En 1995, une équipe anglaise avait calculé qu'un bébé nourri au soja consomme, rapporté à son poids, 3 à 5 fois la dose capable de perturber le cycle menstruel d'une femme ! Des études menéeschez l'animal montrent que les phytoœstrogènes modifient l'équilibre hormonal des nouveau-nés, et réduisent leur fertilité. Il convient donc d'être extrêmement prudent.
C'est la très grave attaque lancée contre le soja par la rédaction du site
Doctissimo, le plus grand site Internet français sur la santé. (1)
Elle fait écho à la campagne menée par deux scientifiques
américaines, Sally Fallon and Mary Enig de la Weston A. Price
Foundation, qui affirment que les préparations à base de soja
s'apparentent à des « pilules contraceptives pour les bébés » (« Birth
control pills for babies »). (2) Doctissimo a publié par ailleurs un
article intitulé « Tout est bon dans le soja » (3) mais
l'incompréhension et la confusion règnent chez les lecteurs.
La guerre du sojaAliment fétiche d'une génération hippie puis écologiste, le soja
connut une immense popularité à partir des années 90. Tous les
diététiciens recommandaient cette nouvelle sorte de haricot venue
d'orient, que ce soit pour faire baisser le cholestérol, diminuer le
risque cardiovasculaire, augmenter la longévité, ou remplacer la
viande.
Aujourd'hui, les bienfaits du soja sont remis en cause. Le grand
public est convaincu que le soja contient une quantité alarmante de
« phytoœstrogènes », autrement dit des composés végétaux ayant un effet
similaire aux hormones féminines. Les hormones féminines, on le sait,
sont très bénéfiques pour transformer le corps d'une petite fille en
celui d'une femme. Elles sont malheureusement aussi capables de faire
flamber (grossir) les tumeurs en cas de cancer du sein « œstrogène
positif » (cancer du sein sensible aux hormones, soit 75 % des cas).
Trop d'œstrogènes se retrouvent déjà dans nos rivières, nos océans,
l'eau du robinet. On imagine bien que nos nourrissons n'ont pas besoin
d'une dose supplémentaire.
Les autorités françaises réagissent !Les autorités sanitaires françaises, d'une prudence toujours
exemplaire lorsqu'il s'agit d'interdire des produits naturels, ne
tardèrent pas à reprendre à leur compte les attaques du camp anti-soja.
L’Anses (ex Afssa -Agence Française de sécurité des aliments)
déconseille les aliments à base de soja avant 3 ans ainsi qu'aux femmes
ayant eu un cancer du sein. Depuis novembre 2001, la Société française
de pédiatrie déconseille aussi les préparations au soja pour les
nourrissons.
Conséquence : partout sur les forums francophones, les internautes
se recommandent mutuellement de consommer le soja « avec prudence et
modération ».
Mais connaissez-vous, cher lecteur, un seul aliment qu'il soit
recommandé de consommer « avec imprudence et sans modération » (à part
le gâteau au chocolat, bien sûr ;-) ?
« Des études menées chez l'animal »...Le fait est que les effets prétendument dévastateurs du soja n'ont
jamais été constatés chez l'être humain. Il s'agit d'un risque
théorique, calculé sur le papier par des chercheurs,
non d'effets observés sur les populations fortes consommatrices de soja.
Bien au contraire, celles-ci bénéficient d'un risque
cardiovasculaire réduit. Les femmes asiatiques, pour leur part, ont
beaucoup moins de cancer du sein que les femmes occidentales. Les
Japonais d'Okinawa, qui ont la plus forte longévité du monde,
consomment traditionnellement une à deux portions de soja par jour.
Une étude majeure publiée en août 2001 dans une des plus grandes revues médicales, le JAMA (
Journal of the American Medical Association),
a observé que les bébés nourris au soja sont en aussi bonne santé que
ceux qui ont bu du lait de vache ou ses dérivés « maternisés » (ce qui
reste bien moins bon que le lait maternel, nous y reviendrons).
Si les phytoœstrogènes du soja provoquaient des problèmes de
reproduction chez les enfants nourris au soja, ces problèmes se
retrouveraient chez eux à l'âge adulte. L'étude a examiné 811 hommes et
femmes de 20 à 34 ans qui avaient participé, dans leur enfance, à des
études sur la consommation de lait de vache ou de soja. Aucune
différence n'a été observée entre eux dans plus de trente aspects de
leur santé. La seule exception est que les cycles menstruels des femmes
nourries au soja dans leur enfance se sont révélés légèrement plus long
(huit heures) que celui des femmes nourries au lait de vache dans leur
enfance.
En 2009, un groupe de 14 experts indépendants, nommés par le Centre
d'évaluation des risques liés à la reproduction humaine du ministère de
la Santé américain, ont examiné l'ensemble des données scientifiques
ayant trait au risque du soja pour les bébés. Ils ont conclu que le
risque, s'il y en avait un, était minimal. (4)
Pourquoi tant de haine contre le soja ?D'où vient la confusion sur le soja ? Toutes les mises en garde
(incluant celle de Doctissimo) contre le soja sont basées sur des
résultats
constatés chez les animaux.
La première étude défavorable au soja parut en 1985, lorsqu'une
grande étude scientifique a montré que le soja augmente le risque de
cancer du pancréas chez... les rats.
Choisir des rats pour en tirer des conclusions sur les êtres humains
n'est pas très malin quand on sait que le pancréas des rats est très
différent du nôtre. Le soja contient des inhibiteurs de la protéase,
c'est-à-dire des substances qui freinent la digestion des protéines.
Ces inhibiteurs de la protéase provoquent le cancer chez certaines
espèces animales (rats et poules).
Les rats et les poules ont la particularité d'être dotés d'un
pancréas extraordinairement sensible aux inhibiteurs de la protéase que
l'on trouve dans le soja. Cette sensibilité n'a pas été constatée chez
les autres espèces comme les hamsters, les souris, les chiens, les
cochons, les singes et les êtres humains. Et ce n'est pas étonnant :
les espèces, même lorsqu'elles paraissent très proches, réagissent
différemment aux aliments.
Les êtres humains ne sont ni des rats, ni des singesCe qui est bon pour une espèce est souvent toxique pour une autre. Le soja ne fait pas exception.
Nos enfants, dès le plus jeune âge, savent qu'ils ne peuvent pas forcément manger ce que mangent les autres animaux !
Après quelques tentatives, ils arrêtent de manger de la terre, si
bonne pour les vers de terre. Puis, ils renoncent à avaler de l'herbe,
si bonne pour les sauterelles, les éléphants et une vaste gamme
intermédiaire d'animaux. Ils se détournent tout aussi rapidement des
feuilles, des écorces et des fleurs, tant appréciées de nos amis les
chimpanzés et les gorilles...
Nos enfants consacrent des années à apprendre à distinguer les
aliments qui se mangent de ceux qu'il vaut mieux éviter, indépendamment
de ce que font les autres animaux (mais pas indépendamment de l'avis
de leurs parents : « Et ça, c'est du poison, ça ? » nous a demandé
environ deux mille fois notre petit Thomas, 3 ans, dès que paraissaient
à sa vue des boules rouges ou noires, lors de nos promenades l'été
dernier).
Le site
Doctissimo entretient la confusion de façon typique :
« De nombreux travaux expérimentaux, menés sur différentes espèces
animales, montrent que les phyto-œstrogènes présentent des effets sur
le développement et les fonctionnements endocrinien et immunitaire. »
explique sur un forum P. Nathan, « médecin du sport, nutritionniste,
endocrinologue, diabétologue, médecin du Conservatoire Nationale
Supérieur de Musique et de Danse de Paris. » dans un article mettant en
garde contre le soja publié le 22 janvier 2011. (5)
Mais quelques lignes plus loin, il avoue cependant la vérité :
« Chez les nourrissons alimentés de façon prolongée avec des produits
contenant des phyto-œstrogènes, il n'a pas été observé, jusqu'à
présent, de troubles particuliers de la croissance et du développement
endocrinien. »
Bon pour les animaux, très mauvais pour les hommesVous souvenez-vous du thalidomide, ce médicament qui provoquait
d'atroces déformations chez les bébés, lorsque leur maman en avait pris
pendant sa grossesse ? Le thalidomide avait été soigneusement testé
sur les animaux, où il n'avait montré aucun effet indésirable de ce
type. De même, lorsque l'Opren, un médicament contre l'arthrose, fut
testé sur des singes, on ne constata aucun problème ; il tua toutefois
61 personnes avant d'être retiré du marché. Le Cylert était parfait
pour les animaux, mais lorsque des médecins le donnèrent à des enfants
hyperactifs, il provoqua de graves problèmes de foie.
Le lait maternel toxique pour les ratsDe même que les bébés rats supportent mal le soja, ils supportent
très mal le lait maternel humain, qui les empêche de grandir. Faut-il
s'en étonner ? Le lait maternel humain contient 5 % de protéines,
contre 45 % chez celui du rat. Les besoins physiologiques du petit rat
ne sont tout simplement pas les mêmes que ceux du bébé humain.
Nos bébés n'ont pas besoin d'apprendre à se faufiler à une extrême
vitesse dans les canalisations dès leurs premières semaines. Par
contre, ils ont un puissant cerveau qui nécessite des apports
considérables en glucose (le carburant du cerveau) et en DHA (les
acides gras oméga-3 qui servent de briques aux neurones). Si leur
cerveau se développe mal, leurs chances de vivre seront gravement
remises en cause, quelle que soit la qualité de leurs réflexes ou de
leurs muscles par ailleurs.
Recommandations sur le sojaLe soja, donc, n'a pas le même effet sur les rats que sur nous. Chez
les humains, c'est un aliment globalement très sain, à partir du
moment où il n'est pas aux OGM (65 % de la production américaine) ni
arrosé de produits chimiques (choisir du bio, donc). Le soja semble
même diminuer le risque de cancer du pancréas, du colon, de la
prostate, et du sein. (6)
Ces données sont cohérentes avec les observations épidémiologiques à
grande échelle, sur les populations fortes consommatrices de soja.
Les femmes, y compris celles qui ont un cancer du sein
œstrogènepositif, peuvent manger trois à quatre portions de soja par
semaine (mais éviter par précaution les extraits concentrés). Les
hommes et les femmes sans cancer du sein peuvent en manger deux ou
trois portions par jour sans aucun inconvénient, au contraire.
Le soja est de plus un aliment qui se présente sous des formes très
variées, et qui apportera beaucoup de fantaisie et de plaisir à vos
repas. Qui plus est, il est bon marché. Pour moi, les formes les plus
intéressantes de soja sont :
- Le tofu : c'est une pâte de grains de soja
trempés et cuits. Le trempage est utilisé traditionnellement pour
réduire les inhibiteurs de la protéase. Riche en protéines, le
tofu a un goût neutre, qui lui permet d'être ajouté à n'importe
quel plat. Comme pour tous les plats à base de soja, choisissez du
bio si vous pouvez.
- Le tempeh : il s'agit d'un gâteau de
grains de soja fermentés, au goût de noix et de champignon, d'une
texture élastique. Extrêmement riche en protéines et en fibres,
produit d'une manière qui diminue fortement la teneur en
inhibiteurs de la protéase, le tempeh est la façon idéale de consommer
le soja, d'un point de vue nutritionnel.
- Le miso : c'est une pâte de graines
de soja fermentées avec du riz ou d'autres céréales. Couramment
utilisée comme condiment salé ou comme base pour faire une soupe,
le miso est un puissant probiotique, qui contient de nombreuses
bactéries favorables aux voies intestinales. Le processus de
fermentation du miso désactive les inhibiteurs de la protéase.
- Tamari (ou Shoyu) : une sauce fermentée très gouteuse et salée ;
- Lait de soja : fait avec des graines
de soja trempées et broyées, de plus en plus utilisées à la place
du lait de vache. Souvent appelé « boisson » de soja, parce que
l'industrie laitière refuse de laisser utiliser le mot lait.
Faible teneur en inhibiteurs de trypsine et en phytates. Préférer les
marques à base de grains entiers, plutôt que de poudre de lait de
soja (il existe aussi des laits de riz, d'amande et d'avoine qui
ont chacune leurs propres avantages par rapport au lait de vache).
- Edamame : le soja est récolté alors qu'il
est encore immature, vert et tendre. Cuit environ 15 minutes et
légèrement salé dans l'eau bouillante, il peut servir en apéritif,
mélangé à des légumes, ajouté dans une salade ou en soupe.
De légitimes questions ont été posées sur certains produits du soja,
et la recherche va continuer dans ce domaine. Vous bourrer de tofu et
avaler systématiquement tout ce qui contient du soja ne vous conduira
pas automatiquement à une bonne santé, mais stigmatiser le soja non
plus. La croisade anti-soja a détourné inutilement de nombreux
acheteurs d'un aliment sain et rempli de bienfaits qui, si nous sommes
respectueux de nos corps et de la nature, peut nous apporter une
multitude de bienfaits.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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Sources de cet article :
(1) article datant de 2003 et se trouvant toujours en ligne sur le site doctissimo.fr, consulté le 31 janvier 2012. http://www.doctissimo.fr/html/nutrition/mag_2003/mag1003/dossier/nu_6860_soja_lait_nourrissons_02.htm
(2) « Soy Infant Formula: Birth Control Pills for Babies », par Sally Fallon Morel, sur http://www.westonaprice.org/soy-alert/soy-formula-birth-control-pills-for-babies (consulté le 31 janvier 2012)
(3)http://www.doctissimo.fr/html/nutrition/mag_2003/mag1003/dossier/nu_6858_soja_definition.htm
(4) http://www.niehs.nih.gov/news/assets/docs_a_e/expert_panel_evaluation_of_soy_infant_formula_meeting_summary_expert_panel_conclusions.pdf
(5) http://blog.doctissimo.fr/shureido/vache-lait-soja-14083246.html
(6)En 2000, Riva Bitrum, President de la recherche à l’
American Institute for Cancer Research,
a déclaré à ce sujet que « Les études qui montrent de façon
consistante que la consommation d'une simple portion par jour de
soja contribue à diminuer le risque de cancer sont encourageantes.
C'est une chose que la plupart des gens pourraient faire
facilement.' » ( "Studies showing consistently that just one serving a
day of soyfoods contributes to a reduction in cancer risk are
encouraging. Consuming one serving of soyfoods is a step most
individuals would not find too difficult to take.")