Vous m'avez demandé la suite alors tant pis pour vous maintenant que le robinet est ouvert je ne vais plus m’arrêter ( sauf si un gracieux ta g.. vient me réveiller!! )Le lendemain de cet orage j’interroge nos voisins les
plus proches et la dame, native de Saint Engrace même si elle ne vient plus que
pour les vacances dans sa maison familiale, a l’air de trouver tout ça
amusant : « C’est comme ça les maisons de montagnes, il pleut et ça
sèche ! ».
Mais pourquoi ne m’est-t-il pas possible de trouver ça
drôle ?
Un autre voisin, celui qui héberge et entretient le torrent des
moulins, m’explique que c’est rare, peut-être tous les dix ans des tempêtes
aussi violentes, et il me rassure en notant qu’on ne décide pas des travaux
pour des événements aussi peu fréquents. Son discours raisonnable me réchauffe,
son amour immodéré pour ce village dont il n’est pas originaire aussi.
L’après midi pour nous récompenser d’avoir survécu,
nous nous offrons une belle balade traversant la forêt d’Iraty jusqu’à Saint
Jean Pied de Port. Pour être tout à fait honnête, nous n’avons pas tout
vu car nous avons traversé un énorme nuage qui campait à mi pente et
chapeautait le sommet et je voyais tout juste mon capot ! Au détour d’un
virage, un mouton renfrogné était planté au milieu de la route toutes cornes
dehors et j’ai dû me glisser entre lui et le précipice en roulant tout
doucement pour ne pas vexer ce guetteur peu amène. D’ailleurs cette balade dans la montagne où les vaches, les moutons, les chevaux sont chez eux m’a beaucoup fait réfléchir.
Manifestement ces animaux ont des vies intéressantes
et naturelles. Ils ont des espaces que nous n’imaginons pas, ils se déplacent
sans tellement de contraintes, partout il y a des panneaux "attention troupeaux en liberté" qui avertissent les automobilistes que c’est à eux de faire attention, et ce mouton m’a bien expliqué la règle du jeu « tu es chez
moi, je bouge si JE veux ! ». Il y a un monde entre les élevages
concentrationnaires et cette errance dans la montagne. Bien entendu je ne change pas d’avis sur le fait de
manger de la viande car je connais la fin du film et c’est toujours la même. Simplement je me dis que là ils ont une bonne vie.
La grande question n’est pas tant de mourir car
j’imagine que dévaler une pente et s’écraser sur les rochers n’est pas une
joyeuseté, mais de pouvoir accepter qu’un être décide de la mort d’un autre.
Quand je vois ces bêtes monumentales placides et inoffensives, la petite vrille
noire me transperce, c’est une trahison que commet l’humain, il apprivoise et
amadoue des bêtes qui pourraient facilement le dominer si elles n’étaient pas
aussi innocentes, et décide de leur sort de bout en bout. On peut bien sûr dire que la
mort fait partie de la vie, c’est vrai, mais la mort programmée c’est autre
chose. Remarquez, je n’aime pas non plus les animaux carnivores, mon monde à
moi est un monde d’herbivores et de charognards pour le ménage.
Tout ça pour
dire que dans cette région d’élevage, de chasse, de pêche, je vais avoir de
grands efforts à faire, pour rester moi-même et me faire respecter en tant que
telle, et pour respecter ceux qui sont différents de moi (et majoritaires). Je
parle de mon alimentation sans insister. Au restaurant j’ai fait rire la
serveuse en lui disant c’est une bonne idée d’être végétarien ici, non? Et dans
son rire il y avait simplement de l’amusement, pas d’agacement c’est déjà bien.
Bref je vois
bien que je ne serai pas chez moi là non plus, mais plus je vieillis plus je
suis persuadée que ce n’est pas ma planète ici, et hélas la soucoupe volante
qui m’a déposée par erreur ne reviendra pas me chercher. Cette douleur là m’a
suivie tout au long de ma vie ; je me souviens très bien quand, petite, à
l’école du village où nous vivions, j’avais cette sensation de vertige quand je
sentais cette différence entre les autres petits et moi. C’était un peu
douloureux mais ils étaient si « étrangers » pour moi que l’idée
d’être comme eux ne m’effleurait même pas. Je n’avais pas les codes de
communication qui les liaient, je ne comprenais pas leurs jeux, ils parlaient
entre eux et se taisaient à mon approche ; il faut dire que les
instituteurs du village avaient trouvé la bonne idée de m’envoyer jouer avec
leur nièce dans la cour, pendant que les autres ânonnaient leur tables et leurs
lettres. Je savais déjà lire écrire compter à la rentrée donc le fossé a été
instantané. Ensuite quand ils jouaient comme de petites brutes à se mesurer, se
défier, s’épier, moi je lisais, je lisais, je lisais. A la bibliothèque
municipale de la ville d’à côté, l’ancien instituteur qui la gérait m’a laissé
me promener en toute liberté dans les rayonnages et prendre tout ce que je
voulais. « Si ce n’est pas de son âge, le bouquin lui tombera des mains
« a-t-il expliqué à mes parents inquiets des mauvaises lectures.
Et de fait pendant des années j’ai lu un bouquin par jour, la vie des fourmis
de Maeterlinck, la guerre du feu de Rosny Ainé, le voyage de Niels olgerson en
version intégrale, tout ça avant mes dix ans.
J’ai un souvenir ébloui de cette
enfance de rêves et de lectures. Pas du tout solitaire car les abeilles, les
poules, les oies, les chats étaient mes compagnons. Derrière la maison il y
avait un filet d’eau souterrain que je pouvais observer en soulevant une grosse
pierre. Ce que cette eau limpide a pu me faire voyager !
Vous en savez
bien assez sur mon enfance, je n’ai pas envie de vous raconter ma vie, mais
plutôt la rénovation de Sainte-Engrâce. Cette petite digression vous permet de
comprendre pourquoi je ne suis pas dépaysée là-bas, l’eau qui court entre les
pierres est la même que celle qui m’emportait en de lointaines aventures et les
petits moulins du torrent sont les petits frères de celui où j’ai grandi
jusqu’à mes dix ans.