Pilule de 3e génération : certains spécialistes français doivent apprendre l'humilitéModifié le 03-01-2013 à 20h23
Par
Martin Winckler Médecin et écrivain
LE PLUS. Après la plainte déposée par Marion Larat, handicapée à 65% depuis un AVC qu'elle impute à sa pilule de 3e génération, 30 nouvelles plaintes de femmes
s'estimant elles aussi victimes de pilules contraceptives devraient
être déposées début janvier au tribunal de Bobigny. Pour le médecin
Martin Winckler, la religion du "tout pilule" est en train de montrer
ses limites.
Les pilules contraceptives de 3e et 4e générations sont associées à un risque de thrombose veineuse (JS.EVRARD/SIPA).
Comme l'affaire du Mediator, le débat autour des pilules de 3e
génération met en évidence plusieurs problèmes majeurs du système de
santé français. Petit inventaire.
Des médecins peu ouverts sur l'extérieur
La formation pharmacologique des médecins français est, au mieux,
médiocre. Ceci, en raison du financement à 99% de la presse médicale par
l'industrie pharmaceutique, en raison du manque de rigueur scientifique
des facultés de médecine et de leurs enseignants qui ne voient pas plus
loin que le bout de leurs dogmes.
En raison, aussi, de l'incapacité antédiluvienne de ces
professionnels à accepter que l'information scientifique est publiée en
langue anglaise et qu'il faut soit la lire dans la langue d'origine,
soit aller lire les traductions sur les sites canadiens – donc, en
dehors de l'hexagone.
Être un scientifique, c'est s'ouvrir au monde, or un grand nombre de
médecins français ne connaissent que le petit univers égocentrique et
phobique que leur ont imposé leurs profs de faculté et leurs patrons
hospitaliers. De plus, ils n'acceptent pas de communiquer entre eux.
S'ils acceptaient de s'interroger et de s'ouvrir aux autres, ils ne
diraient plus qu'on ne doit pas poser un DIU (stérilet) à une femme sans
enfant, que les anti-inflammatoires inactivent les DIU ou que les
pilules de 3e génération sont "plus sûres" que les autres. Mais beaucoup
de médecins français disent encore beaucoup de conneries – et ça ne
concerne pas seulement la contraception, hélas.
Une attitude paternalisteL'attitude d'un grand nombre de médecins français est paternaliste –
autrement dit : ils prennent les patient(e)s pour des enfants à qui dire
comment baiser, comment mettre ou non les enfants au monde, comment
manger, comment vivre. Ces parangons de vertu médicale sont persuadés
qu'ils savent mieux que les patient(e)s ce qui est bon pour eux/elles.
Ce n'est pas seulement vaniteux et insultant. C'est contre-productif
et ça contribue à altérer la nécessaire relation de confiance dont tout
patient a besoin. Car comment faire confiance à un médecin qui vous
traite comme un(e) imbécile et se comporte comme un père fouettard ou
une mère maquerelle ?
En France, un trop grand nombre de médecins continuent à ignorer (ou à
refuser) leur obligation éthique d'accueillir les questions des
patient(e)s et de partager ce qu'ils savent avec tous ceux/toutes celles
qui le demandent – et de se renseigner quand ils ne savent pas.
Pire : ils n'ont pas l'air d'avoir compris que les patients
partageront, de toute manière, avec ou sans eux. Beaucoup de femmes
françaises lisent l'anglais, trouvent des infos ailleurs que sur les
sites des gynécologues obstétriciens français, et les partagent sur les
sites et les médias sociaux. Les professionnel(le)s qui s'en offusquent
ne sont pas seulement réactionnaires, ils sont stupides.
Mais comment s'en étonner, quand on voit la manière dont on leur a bourré la tête ?
Des patient(e)s frustré(e)s
La colère déclenchée par la plainte de Marion Larat
et les plaintes qui ont suivi n'est pas seulement née des accidents
sous pilule de 3e génération. Elle est le produit d'une frustration
beaucoup plus large ressentie par les femmes, qui ne se sentent pas
écoutées par ceux et celles-là même qui prétendent "les soigner".
Depuis dix ans et la création de mon site personnel, j'ai reçu des
milliers messages de femmes me racontant les humiliations qu'elles
subissent chaque jour, dans toute la France.
On refuse de leur poser un DIU ou un implant sans raison scientifique
valable, on leur refuse une ligature de trompes pour des raisons
idéologiques ou des pseudo-motifs "psychologiques" ineptes, on leur
interdit une grossesse parce qu'elles ont plus de 40 ans ou on les
culpabilise à 35 de ne pas vouloir d'enfants, on les accuse de se
retrouver enceintes par négligence ou par "acte manqué", on les engueule
parce qu'elles utilisent une "Mooncup" ou préfèrent une contraception naturelle.
On les regarde de haut parce qu'elles choisissent d'avorter ou au
contraire refusent d'avorter d'un enfant trisomique ; on leur dit
qu'elles sont folles quand elles décident d'accoucher chez elles ou
pusillanimes quand elles veulent déambuler librement dans la salle de
travail entre leurs contractions ; on leur dit tantôt qu'il ne faut pas
allaiter, tantôt qu'il faut sans se préoccuper de ce qu'elles préfèrent.
On leur fait la morale parce qu'elles ont contracté une chlamydiae ou
parce qu'elles ont plusieurs partenaires – on les traite d'anormales
parce qu'elles sont lesbiennes ou vierges ; on les traite
d'inconscientes lorsqu'elles n'ont pas vacciné leur fille contre le HPV ; on les menace de mort parce qu'elles ne font pas un frottis par an et une mammographie dès l'âge de 40 ans.
Et surtout, surtout, on ne cherche pas à comprendre ce qu'elles demandent, on n'écoute pas leurs questions et on n'y répond pas.
Des femmes en colère
Bref, beaucoup trop de médecins français se comportent avec les
femmes qui les consultent d'une manière non professionnelle, moralement
inacceptable et, il faut bien le dire, très conne. L'attitude
désinvolte, ignorante et aveugle à l'égard de la prescription des
pilules de 3e génération n'est que la partie émergée de l'iceberg, et
elle serait restée cachée si elle n'avait pas provoqué des accidents
catastrophiques.
Ce qui met les femmes en colère, c'est qu'on les traite avec mépris.
Et elles ont raison d'être en colère. Et ça ne va pas s'arrêter avec le
déremboursement des pilules de 3e génération. Ça ne s'apaisera que
lorsque la norme de comportement de la part de la majorité des médecins
ne sera plus le mépris, mais le respect. Ça ne s'apaisera que lorsque
les médecins insultants s'inclineront et présenteront leurs excuses et
changeront de comportement.
Du respect pour les patient(e)s, beaucoup de médecins en ont.
Singulièrement, ce respect est plus répandu parmi les généralistes – qui
prescrivent moins et écoutent plus que les spécialistes, malgré leur
surcharge de travail, malgré leur sous-rémunération et malgré le mépris
dans lequel ils sont tenus par trop de spécialistes.
Mais est-ce surprenant ? Quand on vit au milieu des personnes qu'on
soigne, quand on ne ferme pas sa porte à 19 heures le vendredi pour
partir en weekend, quand on répond personnellement au téléphone et quand
on ne refuse pas d'entendre une femme dire "Je n'ai plus de désir
depuis que j'ai repris une contraception hormonale, je voudrais me faire
poser un DIU au cuivre", c'est parce qu'on ne pense pas que ce genre de
déclaration est nul et non avenu, mais parce qu'on est un soignant.
La colère des femmes s'apaisera quand la majorité des médecins se comporteront en soignants.
Un clivage entre généralistes et spécialistes
Le clivage est grand entre, d'une part, patient(e)s et soignants de
terrain (généralistes, infirmières, sages-femmes et spécialistes
investis) et, d'autre part, les professionnels de santé qui se prennent
pour le sel de la terre et traitent comme de la m*rde ceux qui ne sont
pas à l'abri avec eux dans la salière.
Ce clivage explique non seulement que la contraception ne soit pas
enseignée de la même manière aux étudiants en médecine générale et aux
gynécologues (on ne va pas mélanger les torchons et les serviettes,
n'est-ce pas ?) mais aussi qu'elle ne soit pas enseignée du tout de
manière scientifique aux gynécologues.
La contraception, c'est ce qu'on appelle des soins primaires, des
soins de première ligne ; c'est comme la prévention des maladies
infectieuses par le lavage des mains et les conseils alimentaires
"dédramatisants" pour la femme enceinte, le nourrisson ou la personne
âgée qui n'a pas d'appétit. C'est du soin au quotidien.
Or, ça n'intéresse pas les spécialistes, qui préfèrent se consacrer
aux maladies graves et à la procréation médicalement assistée – ou à des activités lucratives mais nécessitant un engagement minimum (frottis
annuel et renouvellement de pilule, par exemple).
Si les gynécologues ont prescrit des pilules de 3e génération à tire-larigot
[1], c'est non seulement parce qu'ils gobent sans discuter le discours industriel, mais aussi parce que la contraception, ils s'en foutent et ça les gave. Et c'est pour les mêmes raisons qu'un grand nombre refusent aussi encore de pratiquer des ligatures de trompe ou des stérilisations tubaires pourtant permises par la loi, librement, à toute personne majeure depuis 2001 !!! Les demandes, les problèmes concrets des femmes ne les concernent pas.
Les limites du "tout pilule"
L'attitude "tout pilule" des spécialistes français résulte de la
conjonction de tous ces éléments : formation non scientifique, manque de respect, ignorance des besoins des patientes, réticence à s'engager à
leurs côtés, refus de partager le savoir (et, pour le partager
efficacement, de le mettre à jour quotidiennement).
S'ils prescrivent des pilules plutôt que des DIU ou des implants,
c'est à la fois parce qu'ils n'y connaissent rien, parce qu'ils ne
cherchent pas à rendre service, et que les efforts que ça nécessite
(poser un DIU, poser et retirer un implant, ça prend un peu plus de
temps que marquer "pilule" sur une ordonnance) les fatiguent. Ils ne
voient pas l'intérêt pour eux ; alors, pourquoi satisfaire les femmes,
franchement ?
Ce qui mine la profession médicale dans son ensemble, ce n'est pas la
compétence individuelle de ses membres (il y a des praticiens très
compétents et d'autres qui ne le sont pas, dans tous les pays), c'est
l'attitude entretenue chez un trop grand nombre de médecins par la
formation qu'ils reçoivent en faculté.
À commencer par l'idée qu'ils sont supérieurs au commun des mortels
parce qu'ils sont médecins. Et, quand ils sont spécialistes, qu'ils sont
supérieurs aux autres médecins parce qu'ils sont spécialistes.
Plus d'humilitéMais devenir médecin, ça ne consiste pas seulement à se valoriser par
un diplôme. Ça sous-entend aussi de s'engager au service à la
collectivité. De s'engager à soigner. Et soigner, ça n'est pas une
relation de pouvoir ou de supériorité mais de soutien et d'aide. Ça
exige de se sentir l'égal de celles et ceux qu'on soigne, ça demande de
l'humilité.
L'humilité, trop de médecins français n'en ont pas. Quand le modèle
d'enseignement facultaire aura changé, peut-être la majorité des
praticiens qui sortiront de fac seront-ils capables de se mettre à la
place de celles et ceux qu'ils soignent et de remettre en cause leurs
certitudes.
En attendant, les femmes – et les hommes qui ne tarderont pas à
donner de la voix eux aussi – seront en colère. Cette colère leur
permettra de faire la différence entre ceux qui les respectent et ceux
qui les méprisent. En attendant, elle n'est pas près de s'apaiser.
Et pour ma part, j'en suis très heureux. Chaque médecin sélectionne,
par son attitude volontaire ou non, consciente ou non, les relations
qu'il établit avec les patients qu'il reçoit. Et chacun récoltera ce
qu'il a semé.
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[1] Comme le montrent
les chiffres publiés par la Haute autorité de santé, les spécialistes
sont les principaux responsables de la sur-prescription des pilules de
3e génération (voir http://www.atoute.org/n/Faut-il-reserver-la-prescription.html).
Confier la prescription de ces pilules aux spécialistes, comme l'a
envisagé l'ANSM (sur les conseils d'un "expert gynéco", probablement)
équivaut à confier l'utilisation des allumettes aux seuls pyromanes. La
revue "Prescrire" avait dénoncé les pilules de 3e et 4e génération (de
Diane 35 à Jasmine en passant par toutes les autres) dès leur
commercialisation. Les médias grand public s'en sont-ils fait l'écho ?
Non. Ils ont joué leur rôle habituel de relais de l'industrie via les
"experts" et "spécialistes" qui conseillent régulièrement les magazines
féminins et la presse quotidienne. L'information scientifique a beaucoup
de mal à passer au grand jour, en France, car elle est filtrée par les
"experts" – lesquels sont le plus souvent imbriqués dans des conflits
d'intérêt qu'ils ne perçoivent même pas (tout statut privilégié est
menacé de conflits d'intérêt). Or, trop de journalistes français s'en
remettent aux "experts" pour rédiger leur article. Si j'étais
journaliste scientifique, je potasserais attentivement un sujet AVANT
d'interroger le "spécialiste" qu'on m'a recommandé. C'est ce que je fais
quand je ne connais rien à un sujet. J'ai le sentiment que je pose des
questions plus intelligentes, et que je risque moins de me faire
embobiner par mon interlocuteur. C'est aussi ce que font les femmes :
elles se renseignent d'abord, et vont interroger le médecin ensuite. Et
elles ne prennent plus ce qu'il dit pour argent comptant. Et elles ont
bien raison.
Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/752512-pilule-de-3e-generation-certains-specialistes-francais-doivent-apprendre-l-humilite.html