L'art de noyer le saumon

Santé - Selon l'OMS, la majorité des Européens sont déjà trop contaminés par le PCB et les dioxines. Le saumon n'est qu'un des nombreux coupables.

Frédéric Lewino

Tristes réveillons à venir, sans foie gras ni saumon ! ( ) Après le gavage des oies et canards dénoncé par les défenseurs des animaux, voilà que les Américains accusent le saumon d'élevage de tous les maux : cancer et damnation ! Selon une étude publiée dans Science par des chercheurs américains et canadiens (1), le saumon d'élevage contient jusqu'à dix fois plus de dioxines, polychlorobiphényles (PCB), dieldrine et toxaphène (deux insecticides) que le saumon sauvage du Pacifique. C'est la quatrième étude qui conclut dans ce sens, mais, pour la première fois, les analyses ont été menées à l'échelle planétaire, avec 700 filets de poissons testés. L'Ecosse et les îles Féroé présentent la production la plus contaminée, devant la Scandinavie. Le Chili et l'Etat de Washington s'en tirent le moins mal.


Possédant la formidable qualité d'être inaltérables et ininflammables, les PCB furent longtemps utilisés pour refroidir les transformateurs et condensateurs électriques. Jusqu'à ce qu'on s'avise que douze d'entre eux - les PCB dits de type dioxine - seraient, tout comme certaines dioxines, cancérigènes. Tous les PCB furent donc interdits, mais de grandes quantités en avaient déjà été déversées dans la nature. C'est ainsi qu'on les retrouve, aujourd'hui, dans les océans où, remontant la chaîne alimentaire, ils se concentrent dans la graisse des poissons carnivores, mais aussi celle des crustacés, des cétacés, des ours polaires et des... Esquimaux. La saga maléfique des dioxines est comparable à celle des PCB, mais en pis puisque ces substances continuent à être produites lors de n'importe quelle forte combustion (incendies de forêts, incinération des ordures ménagères, etc.).

Vers des normes plus sévères

Si le saumon d'élevage bat à plate couture toxique son cousin sauvage, c'est que les aquaculteurs le gavent de farine et d'huile de poisson. Pour au moins la moitié de son alimentation ! La fabrication de 1 kilo de saumon frais nécessite, en effet, 2 à 3 kilos de « poissons fourrages ». Il est donc normal de trouver en queue de peloton les fermes d'aquaculture écossaises et scandinaves qui s'approvisionnent plus que les autres en mer du Nord, la poubelle de l'Europe. D'où la volonté de remplacer progressivement ces farines de poisson par des protéines végétales. In fine, il n'y a que l'huile de poisson qui reste indispensable au saumon et à la protection du système cardio-vasculaire du consommateur, car elle contient les fameux acides gras oméga 3...

Bien évidemment, la publication de Science a provoqué un tollé dans l'industrie du saumon et les agences sanitaires qui soulignent que, même dans le pire des cas, la contamination ne dépasse pas les normes alimentaires américaines comme européennes. L'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) conjure même les Français de continuer à manger du poisson au moins deux fois par semaine. Mais en alternant les espèces grasses (comme le saumon) et non grasses (comme le cabillaud), pour bénéficier des effets protecteurs des acides gras oméga 3. Il faut noter que, si la production du saumon a été multipliée par 40 ces vingt dernières années, c'est pour pallier la chute des prises de poissons sauvages mis en danger par la surpêche (2).

Cependant, arrêter l'enquête à ce stade ne serait pas honnête. Il existe un réel problème de contamination humaine par les dioxines et les PCB. La DGAL (Direction générale de l'alimentation) du ministère de l'Agriculture qui effectue, chaque année, des centaines d'analyses de viandes, de produits laitiers, de légumes, de poissons... en retrouve partout. Même si les normes européennes ne sont dépassées que dans des cas très rares, la situation n'est pas saine.

En effet, depuis plusieurs années, le Comité scientifique de l'alimentation humaine de l'OMS tire le signal d'alarme car il juge qu'une proportion considérable de la population de la Communauté absorbe, une dose supérieure à la dose jugée actuellement tolérable. D'où la volonté de la Commission européenne de durcir ses normes. D'ici à la fin de l'année 2004, elle a déjà prévu de réévaluer le seuil en dioxine pour le saumon en y incluant, cette fois, les PCB de type dioxines que la réglementation avait « oubliés » jusqu'ici. Elle envisage également de créer une deuxième norme concernant les autres PCB que ceux de type dioxine.

Pour continuer, néanmoins, à manger du saumon, un petit truc : enlevez la peau et le gras, c'est là que se réfugie l'essentiel des PCB et des dioxines

1. Science du 9 janvier 2004.2. Voir « Exploitation et surexploitation des ressources marines vivantes », rapport n° 17 de l'Académie des sciences.
http://www.lepoint.fr/sante/document.html?did=140866

Si ça pouvait faire en sorte qu'on exploite plus ces poissons... ni d'autres d'ailleurs...