La virulence de la grippe espagnole testée chez les singes
NOUVELOBS.COM | 18.01.2007 | 11:16
Des macaques infectés par le virus de la grippe espagnole ont souffert de
symptômes comparables à ceux qui ont été en 1918. Ces travaux confirment que
ce virus détraque le système immunitaire.
Après les souris, ce sont des singes macaques qui ont eu le triste privilège
d’être infectés avec le virus de la grippe espagnole de 1918, afin de mieux
comprendre la spécificité de ce virus qui a fait de 20 à 50 millions de
morts après la Première guerre mondiale. La vitesse avec laquelle
l’infection s’est développée chez les singes et la gravité des symptômes
confirment ce qui avait été observé chez les souris, expliquent aujourd’hui
les chercheurs dans la revue Nature. La souche H1N1 de 1918 déclenche une
réaction démesurée du système immunitaire qui attaque et détruit les poumons
en quelques jours.
Le virus H1N1 de 1918 a été reconstruit en 2005 à partir de gènes identifiés
dans des échantillons prélevés sur des victimes de la pandémie. L’agent
pathogène est conservé dans deux laboratoires publics de très haute
sécurité, l’un aux Etats-Unis l’autre au Canada. C’est là que Yoshihiro
Kawaoka (University of Wisconsin-Madison, USA) et ses collègues ont infecté
sept macaques avec le virus reconstitué de 1918. Trois autres ont été
infectés avec une souche contemporaine de la grippe.
Ces trois-là ont souffert de problèmes respiratoires sans gravité et se sont
rétablis au bout d’une semaine. Ceux qui ont reçu le virus de 1918 ont dû
être euthanasiés au bout de quelques jours, tant leurs souffrances étaient
grandes. Ce virus se réplique très vite et envahit rapidement l’ensemble du
système respiratoire de l’animal, précisent Kawaoka et ses collègues.
L’analyse de leurs tissus pulmonaires a révélé de gros dégâts : hémorragies
et infiltrations de cellules du système immunitaire.
En effet, comme on le soupçonnait, le virus H1N1 de la grippe de 1918
déclenche une réponse excessive et incontrôlée de l’immunité innée. Il
s’agit de la première ligne de défense du système immunitaire, qui comprend
entre autres les cytokines, impliquées dans l’inflammation. Chez les
macaques infectés avec un virus grippal classique, cette réponse immunitaire
se déclenche très vite et permet de mobiliser les autres agents du système
immunitaire. Mais elle reste modérée.
Chez les singes infectés avec le virus de 1918, cette réponse innée prend
des proportions démesurées. Cela serait dû à la capacité du virus de réduire
la production d’agents qui contrôlent la réponse immunitaire innée, comme
les interférons. Cela laisse le champ libre aux molécules inflammatoires et
finalement la réponse immunitaire se retourne contre l’organisme, en
l’occurrence contre les poumons qui se remplissent de liquide. Les malades
sont littéralement «noyés», précisent les chercheurs.
Cela explique pourquoi la grippe espagnole a davantage tué de jeunes adultes
que de personnes âgées, contrairement à la grippe saisonnière. Plus le
système immunitaire est robuste, plus la tempête que le virus déclenche est
forte.
Depuis que le H5N1 laisse planer la menace d’une nouvelle pandémie mondiale
de grippe, les travaux sur la grippe espagnole se multiplient. L’étude du
virus de 1918 – dont la reconstitution ne fait pas l’unanimité- a montré
qu’il s’agissait probablement d’un virus passé directement des oiseaux à
l’homme, sans passer par l‘étape de recombinaison chez un animal
intermédiaire, comme le font les virus saisonniers de la grippe.
Cécile Dumas
Sciences et Avenir.com
(18/01/07)