Enquête - Le scandale des abattoirs Près de la moitié des abattoirs français ne sont pas conformes aux
normes d'hygiène européennes, selon une note de la Direction générale de
l'alimentation. Le Point a pu se procurer ce document confidentiel.
Le scandale des abattoirs Un quart de la viande que nous avalons est issue d'abattoirs qui ne
respectent pas les règles d'hygiène européennes. C'est le constat qui
ressort d'une note de service de la Direction générale de l'alimentation
(DGAl), datée du 21 novembre 2007. Selon ce document à usage interne que
Le Point a pu se procurer, 42 % des établissements où l'on abat veaux,
vaches, cochons... et 46 % des abattoirs de volailles et de lapins sont
hors la loi au regard des normes d'hygiène européennes.
Fâcheux quand on sait que la moindre entorse aux règles d'hygiène peut
transformer un morceau de viande en bombe biologique. Il y a un mois,
Carrefour et Monoprix ont ainsi dû rappeler plus de 2,5 tonnes de steaks
hachés qui avaient été contaminés dans un abattoir par l' Escherichia
coli , une bactérie d'origine fécale. Il suffit d'un mauvais geste lors
de l'éviscération de l'animal pour que ce germe, vecteur de
gastro-entérites et de graves infections rénales, souille la viande.
Deux autres ennemis bactériens sont en embuscade : Campylobacter , qui
refile des gastro-entérites carabinées, et Salmonella , la bactérie
responsable des fameuses salmonelloses. Outre les intestins, l'autre
cheval de Troie sont les plumes ou les poils souillés. Selon l'Institut
de l'élevage, un quart des bovins entrant dans les abattoirs sont
couverts de boue et de bouses.
Cela fait des années que l'Europe tape du poing sur la table pour que la
France fasse le ménage dans ses abattoirs. Au printemps 2006, l'Office
alimentaire et vétérinaire européen (OAV), le bras armé de Bruxelles en
matière de contrôle sanitaire, a dépêché quatre inspecteurs pour faire
la tournée d'une vingtaine d'abattoirs français, afin de juger sur place
des progrès réalisés. Ils n'ont pas été déçus du voyage. « Dans les
établissements du secteur viandes, la situation varie de l'excellent
jusqu'à l'inacceptable et des problèmes majeurs ont été identifiés »,
écrivent les inspecteurs européens dans leur rapport remis en août 2006.
La plupart des abattoirs visités ont été épinglés par les procédures de
dépouillement et d'éviscération : « Il y avait contact entre la face
externe de la peau et la carcasse. »
En prime, aucune mesure n'avait été prise pour s'assurer que les animaux
étaient propres à leur arrivée à l'abattoir. Dans un établissement, les
vétérinaires de l'OAV ont constaté que « jusqu'à 80 % des carcasses de
veau et presque la moitié des carcasses de bovin avaient des
contaminations fécales visibles ». Et ce n'est pas tout. Dans trois
abattoirs, ils ont relevé pêle-mêle des « croissances importantes
d'algues et de moisissures sur un mur dans un couloir entre le hall
d'abattage et les frigos », des « toiles d'araignée » sur des lignes de
production, de la « rouille étendue , et des « saletés incrustées » un
peu partout. Dans un autre, les vestiaires étaient à la fois utilisés
par le personnel travaillant à l'abattoir et celui des étables, et tout
ce petit monde traversait le hall d'abattage pour aller se changer. De
quoi favoriser la prolifération des micro-organismes en tout genre. Quid
des vétérinaires chargés de contrôler les abattoirs ? Dans certains
départements, ils « signaient des certificats concernant des produits
qu'ils n'avaient pas inspectés ». Et l'OAV de souligner le manque de
sévérité des pouvoirs publics, avec des suspen- sions ou des retraits
d'agrément mis en oeuvre de « façon trop parcimonieuse ».
Depuis 2005, l'Europe a resserré les boulons sur l'hygiène alimentaire.
Nos abattoirs-318 pour les animaux de boucherie et 1 520 pour les
volailles, dont seulement 420 sont agréés CE-ont jusqu'à 2010 pour se
mettre aux normes. « Cela fait longtemps que l'on tire la sonnette
d'alarme, confie un vétérinaire français. L'administration sait qu'il y
a des abattoirs poubelles, mais les inspections de l'OAV ont eu l'effet
d'un électrochoc. » La mise aux normes des abattoirs est devenue une
priorité.
Conditions apocalyptiques Afin de repérer les canards boiteux, la DGAl, qui dépend du ministère de
l'Agriculture, a classé les établissements en quatre catégories. En
novembre 2007, 33 % des abattoirs pour animaux de boucherie écopaient
d'un III parce qu'ils présentaient « plusieurs points de non-conformité
», et 9 % étaient estampillés IV en raison « de graves points de
non-conformité [...] pouvant justifier la suspension de l'agrément ». Du
côté des abattoirs de volailles et de lapins, on en comptait 42 % en
classe III et 4 % en classe IV . De l'aveu même de la DGAl, ce sont
ainsi plus de 700 000 tonnes de viandes de boeuf, veau, mouton... et
environ 500 000 tonnes de poulets qui, chaque année, sortent d'abattoirs
non conformes. « Ces classements sont à usage interne à
l'administration, insiste-t-on à la DGAl. Ils donnent une idée globale
du niveau de conformité des établissements, mais ne permettent pas
directement de conclure en matière de risque pour le consommateur. » Il
n'empêche, la viande abattue dans ces établissements est interdite à
l'exportation en dehors de l'Union européenne...
Pour donner un coup de balai au plus vite, la DGAl a envoyé, le 15
avril, une note confidentielle à tous les directeurs départementaux des
services vétérinaires leur indiquant que, désormais, leur notation
tiendrait compte du taux de conformité des abattoirs dans leur
département. Une façon d'activer la motivation des troupes.
Le Point a récupéré la liste noire des abattoirs d'animaux de boucherie
classés IV (voir carte ci-dessus, à gauche). Au début du mois d'avril
2008, ils étaient vingt-trois. Essentiellement des petites structures
produisant moins de 5 000 tonnes par an, à l'intérieur desquelles les
conditions d'abattage sont parfois apocalyptiques.
Ainsi,
les animaux tués selon le rituel halal agonisent-ils jusqu'à
vingt minutes . Depuis peu de temps, sous la pression de Bruxelles, le
bien-être animal fait partie des critères d'évaluation des abattoirs. Il
est vrai que le stress ressenti par l'animal au moment de l'abattage
provoque la sécrétion de toxines qui plombent le goût, la couleur et la
tenue de la viande. « Lorsque les non-conformités sont récurrentes et
qu'aucune mise aux normes n'est engagée, on propose au préfet de
suspendre l'agrément de l'abattoir. Le problème est que les élus montent
aussitôt au créneau. La fermeture d'un abattoir pour raison sanitaire,
c'est la bombe atomique à l'échelle locale », constate le même
inspecteur vétérinaire. Dans le Morbihan, la mairie de Malestroit a
obtenu un sursis pour son abattoir relégué en catégorie IV : «
L'infrastructure ne permet pas de le mettre aux normes européennes. Une
étude est en cours pour le rebâtir complètement. En attendant, nous
faisons tout pour maintenir ce service de proximité. » A la FNICGV, la
fédération qui regroupe la plupart des petits abattoirs, on ne décolère
pas. «
D'ici à 2010, une cinquantaine d'établissement risquent de mettre
la clé sous la porte, avertit le directeur. Les pouvoirs publics
utilisent l'arme sanitaire pour rationaliser le secteur . »
La plupart des abattoirs classés IV que nous avons contactés jurent
avoir engagé des travaux. D'autres nous ont claqué la porte au nez.
Comme celui de Saint-Affrique, dans le département de l'Aveyron, dont le
directeur a coupé court à l'entretien par un : « On vit caché, ça nous
va très bien. » C'est ce même abattoir qui a été condamné en 2005 pour
avoir pollué la Sorgue avec du sang et des substances carnées. A
Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne, Kissi Tradi Viandes est
spécialisé halal. Selon les services vétérinaires, l'activité d'abattage
est stoppée depuis le mois de janvier. Ce n'est pas ce que Le Point a
observé sur place. Ce vendredi, à l'aube, au bout de la zone
industrielle, à une centaine de mètres d'une Déchetterie, 250 moutons
viennent d'être égorgés par trois bouchers dans la salle d'abattage, un
ancien entrepôt frigorifique.
« Il faudrait rendre publique la situation sanitaire des abattoirs en
France, suggère, sous couvert d'anonymat, un directeur départemental des
services vétérinaires. On laisse croire au grand public que, si un
abattoir a un agrément, il est carré : ce n'est pas vrai. Le seul
levier, c'est la transparence, qui existe chez la plupart de nos
voisins... mais pas chez nous. »
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