Le trafic de viande exotique se chiffre en tonnes
22/06/2010
L'aéroport Charles-de-Gaulle serait une plaque-tournante du commerce illégal
de viande d'animaux sauvages, selon une étude qui pointe l'impunité des
trafiquants.
Des carcasses de singes, d'antilopes, de pangolins ou encore de crocodiles,
et même une trompe d'éléphant. Les coulisses des aéroports Charles-de-Gaulle
et Toulouse-Blagnac prendraient presque l'allure d'un zoo funéraire. Et les
quantités de viande d'animaux sauvages acheminées illégalement sont
gargantuesques. Une étude de l'Institut de zoologie de Londres publiée
vendredi par la revue britannique «Conservation letters», estime à cinq
tonnes hebdomadaires la quantité de «viande de brousse» dissimulée dans les
bagages réceptionnés à l'aéroport Charles-de-Gaulle. Si chaque cargaison de
viande pèse en moyenne 20 kg, certains voyageurs peuvent transporter jusqu'à
50 kg dans des bagages uniquement dédiés à ce trafic.
Le Congo, la République centrafricaine et le Cameroun comptent parmi les
principaux fournisseurs des amateurs de viandes exotiques résidant en
France. Un business clandestin mais non moins lucratif émerge dans certains
quartiers de Paris. A Château Rouge, la commande de morceaux de primates ou
de porcs-épics se fait sous le manteau dans les marchés africains, pour des
prix oscillant entre 20 et 40 euros le kilo.
Si l'étude a permis de dégager par extrapolation des chiffres inédits sur le
sujet, elle met en lumière «une pratique qui n'est pas nouvelle», explique
Yves Lignereux, co-auteur de l'étude et responsable du muséum d'histoire
naturelle de Toulouse. Malgré la récurrence des saisies, les douaniers
n'accordent qu'un intérêt très relatif au trafic d'animaux sauvages : «Ce
n'est pas leur priorité, explique le spécialiste des sciences animales. Ils
préfèrent traquer les montres Cartier fabriquées en Chine ou le trafic de
drogue.» Contrairement aux saisies de stupéfiants ou d'objets contrefaits,
l'activité est moins alléchante pour les douaniers, car «elle ne leur ouvre
pas le droit aux primes», note l'étude.
Le VIH a été transmis par le singe
Si les contrebandiers risquent une amende comprise entre 150 à 450 euros
suivant la quantité transportée, ils bénéficieraient d'une certaine
complaisance de la part de la police des marchandises. En deux semaines et
demie d'enquête à l'aéroport Charles-de-Gaulle, les chercheurs ont relevé
l'application d'une seule amende, alors que les douaniers ont procédé à une
dizaine de saisies de viande de brousse. «Les transporteurs de viande
ressentent les saisies comme un vol», explique la chercheuse en sciences
vétérinaires Anne-Lise Chaber, qui a piloté l'étude. C'est une décision
qu'ils ne comprennent pas et le font savoir haut et très fort. Les douaniers
pensent peut-être que la saisie est une punition suffisante», admet-elle.
Sollicités par le figaro.fr, les services des douanes n'ont pas souhaité
réagir dans l'immédiat.
Ce commerce frauduleux n'est pourtant pas dénué de risques. Risque sanitaire
tout d'abord, puisque les carcasses de viande n'ont pas subi les contrôles
d'hygiène drastiques prévus par un règlement européen de 2004. «Faut-il
rappeler que le VIH a été transmis par le singe ?» s'étonne Yves Lignereux.
Sans parler du virus Ebola qui a fait des ravages chez les mangeurs de
primates», insiste-t-il.
40% des espèces protégées
La viande d'animaux sauvages se présente certes sous la forme de pièces
fumées et séchées, ce qui facilite la conservation de la denrée mais
n'écarte pas la présence de virus très résistants comme la variole, précise
Anne-Lise Chaber. «Et comment garantir que le fumage n'a pas été réalisé
grâce à la combustion de pétrole ?» s'interroge Yves Lignereux. Au quel cas
le consommateur pourrait en effet être exposé à des substances cancérigènes.
Autre préoccupation : le maintien des effectifs d'animaux sauvages en
Afrique sub-saharienne. 40% des spécimens interceptés lors de l'enquête
étaient en effet protégés par la Convention internationale CITES, qui
restreint voire interdit le commerce de certaines espèces d'animaux.
«Faute de temps et de moyens», l'enquête n'a pas porté sur les marchandises
transportées par fret, cargo ou colis postaux. «Mais je ne doute pas que la
viande de brousse arrive aussi par ces moyens», avance Anne-Lise Chaber.
Afin de mieux prendre la mesure du phénomène, la chercheuse souhaite se
lancer dans une étude plus ambitieuse qui se déroulera sur un an afin de
passer au crible plusieurs aéroports et marchés européens.
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