Un pamphlet haut de gamme d'Armand Farrachi
Le chasseur, espèce menaçante
Par ARMAND FARRACHI Responsable du collectif pour l'abolition de la chasse à courre
On savait déjà que, dans notre cynégécratie, il n’y a pas plus de séparation entre la chasse et l’Etat qu’il n’y en avait sous
l’Ancien Régime entre l’Eglise et l’Etat. Christian Frémont, directeur de cabinet du président de la République, l’affirmait le 2
septembre : «Je suis le porte-parole des chasseurs en permanence à l’Elysée.» Désormais, à la demande du parti d’extrême chasse,
dont les désirs sont des ordres, l’opposition à la chasse pourra être assimilée au blasphème cher aux théocraties. Depuis le 4 juin,
le fait de s’opposer à une chasse sera passible une amende de 1 500 euros. Les chasseurs ne supportent ni contrainte ni critique, au
mépris de l’opinion (74% des Français sont opposés à la chasse à courre, 47% à la chasse, 98% ne chassent pas). Or, depuis deux ou
trois ans, des manifestations contre la chasse à courre se multiplient, sur les lieux mêmes des carnages annoncés, façon d’exprimer
une opposition que le pouvoir ne veut pas entendre. En bonne logique, un représentant du lobby chasse à l’Assemblée, qui obtient une
nouvelle loi chasse tous les deux ans, en l’occurrence le sénateur UMP Poniatowski, avait demandé en décembre 2008 la création d’un
«délit d’entrave à la chasse» qui lui a été refusé. Chassé par la porte, ce délit revient par la fenêtre sous forme d’un simple
décret.
La chasse sera donc le seul loisir surveillé par la police et interdit à la critique. Il n’y avait rien de plus urgent ni de plus
utile à la République. Reste évidemment à constituer l’infraction, et ce sera, bien sûr, une autre paire de manches. Mais
tenons-nous en à l’intention, elle en vaut la peine, ne serait-ce que parce qu’elle nous renseigne sur la façon dont les
cynégécrates conçoivent le pouvoir et parce qu’elle rappelle que les fédérations de chasse, créées en 1941 par un décret du maréchal
Pétain, restent fidèles à leur vocation.
La violence contre les biens et les personnes est déjà punissable par la loi. Si les opposants à la chasse étaient violents, il
serait inutile de créer un nouveau délit pour les réprimer. C’est précisément parce qu’ils ne le sont pas qu’il importe d’en
inventer un. Pourquoi les directeurs de théâtre n’auraient-ils pas eux aussi, leur délit d’entrave à la bonne marche du spectacle
contre les spectateurs mécontents qui s’aviseraient de siffler ? Il s’agit bien, encore une fois, de transformer un délit d’opinion,
cet indémodable fantasme du despotisme, en délit tout court.
Les chasseurs ont en horreur la liberté d’opinion des non-chasseurs. En l’absence de toute réaction des partis politiques, sans
doute occupés à plus important, pourquoi se gênerait-on ? La proposition de loi de 2008 envisageait bien de pénaliser financièrement
les propriétaires non-chasseurs ! Créera-t-on un délit d’entrave à la circulation pour les chasseurs qui, eux, bloquent
régulièrement les routes pour obtenir des cadeaux supplémentaires ? Non, l’essentiel, comme disait Lewis Carroll, est de savoir qui
est le maître.
Si l’on relie ce nouveau délit à «l’affaire» du purin d’ortie, au durcissement de la répression contre les faucheurs d’OGM ou à la
loi 1 216 en préparation, dont l’article 5 entend protéger contre toute contestation «les intérêts de l’Etat» (ce qui touche au
nucléaire, aux déchets toxiques ou à «l’aménagement du territoire»), on comprend qu’il s’agit bien de faire taire les empêcheurs de
polluer et de détruire en rond, en particulier les écologistes, toutes catégories confondues, et qu’au lieu d’un «Grenelle» de
l’environnement, on avance à grands pas vers un Fleury-Mérogis de l’environnement. Ce qui devient illégal, ce n’est pas de détruire
la nature, mais de vouloir la protéger.
Non seulement il serait bien naïf de croire que ce type de menaces suffira à décourager des militants déterminés, qui se battent
pour une cause, non pour des voix, mais la répression ne pourra que susciter de nouvelles mobilisations. Car l’Etat chasseur-UMP
tente, encore une fois, de criminaliser la liberté d’expression. C’est pourquoi, bien que ce décret de complaisance soit
inapplicable, si un seul militant devait être condamné pour «obstruction à la chasse», le décret ferait immédiatement l’objet d’une
plainte devant le Conseil d’Etat, puis devant la Convention européenne des droits de l’homme à Strasbourg, qui a déjà sanctionné les
lois prochasse à la française.
En revanche, compte tenu des plaintes récemment déposées, c’est la France qui devra bientôt s’expliquer devant la Cour de justice
des communautés sur sa politique d’Etat braconnier en matière de sauvegarde des espèces et sur le fait que la seule qu’elle protège,
c’est le chasseur. On dira que celui-ci est aussi une espèce menacée. Certes, et c’est tant mieux, mais ce nouveau «délit» rappelle
que c’est surtout une espèce menaçante.
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