Enfouie au plus profond de notre inconscient, exilée à la périphérie du
débat public, traitée le plus souvent comme un sujet d'ordre secondaire
(« le chômage, le logement, la crise d'abord ! »), la question des
droits des animaux revient pourtant, périodiquement, à l'ordre du jour.
Généralement, en régime de catastrophe et en registre dramatique :
systématiquement, seulement après l'éclatement d'un grand scandale
(alimentaire, sanitaire, médical), on se rend compte, sur le tard,
combien nos vies sont liées au traitement que l'on inflige, à notre
époque, aux bêtes (en commençant par l'abattage sans étourdissement –
une pratique banalisée à l'insu du consommateur ordinaire – et en
finissant par le commerce « luxueux » de la fourrure qui leur est
arrachée par des moyens inénarrables).
On est amenés à réfléchir
aux animaux dont on s'en sert quand le traitement qu'on leur réserve
rayonne de la façon la plus inquiétante dans notre vie. Quand, mises à
l'épreuve, la logique commerciale, agroalimentaire et économique
dévoilent des abérations et des dérives poussées à l'extrême. Et quand,
enfin, les médias dénoncent les grands intérêts financiers, les
mensonges et les stratégies de communications des plus perverses qui
rendent opaques la filière viande et les « produits animales ». Ensuite,
petit à petit, balayés par d'autres angoisses sociétales (le chômage,
le logement, la crise), l'étonnement des « consommateurs » s'éteint, la
révolte se met en sourdine.
Un sujet plus négligeable encore
semble être la corrida dans notre pays. Cependant, certains rouages
politico-financiers et les stratagèmes qui ne cessent de la soutenir
mériteraient bien de faire la une.
Combien de personnes savent
qu'en France, en 2013, cette coutume coûteuse est admise au titre d'«
exception culturelle » dans le sud tandis qu'elle est punie pénalement
dans le reste du territoire comme un acte de cruauté envers les animaux
(article 521-1 du code pénal) ?
Combien de personnes savent qu'en
France, dans cette période de crise, les conseils municipaux à majorité
« taurine » votent à l'unanimité le financement grossier des corridas
aux dépens des contribuables qui sont loin d'en être informés ?
Pourtant
des documents en consultation libre attestent, sans scrupules, ces
soutiens financiers. Voici un exemple récent : le 13 février 2013, la
subvention accordée par la ville de Palavas-les-Flots pour
l'organisation de la féria de printemps a été « adoptée à la majorité
des suffrages exprimés ». Montant: 125 000 euros octroyés au club «
Fiesta y toros » (source: http://www.palavaslesflots.com
[...] tion-pdf). Et la somme a encore diminuée, puisqu'en 2012, elle
avait été de 145 000 euros. En revanche, la Ligue contre le cancer a
reçu 100 euros la même année... (A voir aussi les observations
croustillantes* de la Chambre régionale des comptes de
Languedoc-Roussillon adressées au Maire de Palavas-les-Flots au sujet
des subventions reçues par le club taurin « Fiesta y toros » : http://www.ccomptes.fr/fr/Publ [...] s-Herault, p. 12 du « Rapport d’observations définitives n° 116/787 du 1er septembre 2011 ».)
La
corrida : une mise en scène où l'on donne la mort à un être sensible.
Un moment qui frise l'art et le sublime – pour certains amateurs – ou
l'abjection et la perversité – d'après les autres. Comment s'explique la
survie de cette « tradition » espagnole plutôt anachronique ? Pour
n'importe quel sociologue, les stratégies de communication des acteurs
du monde tauromachique pourront être un thème bien juteux. Parmi
celles-ci, faire courir des fausses rumeurs et exercer des tentatives
d'intimidation à l'égard des opposants à la corrida, afin de faire
perdurer cette barbarie en chute de popularité.
Deux exemple récents :
Le 24 janvier 2012, le journal « Sud-ouest » titrait : « Plus de manif aux arènes ! » (v. http://www.sudouest.fr/2013/01
[...] -727.php). Ce titre faisait référence à une requête de l'Union
des villes taurines de France (UVTF) et de l'Observatoire national des
cultures taurines auprès du ministre de l'Intérieur Manuel Valls en
décembre 2012, « pour demander à ce que les arrêtés municipaux
interdisant les manifestations aux abords des arènes soient respectés ».
Interrogé à maintes reprises sur cette supposée circulaire qui tarde à
paraître, Manuel Valls finit par déclarer son ignorance quant à une
telle mesure. Mais peu importe, les clubs taurins clament une « victoire
», et quelques médias s'emparent du sujet comme d'une certitude. La
rumeur court.
Dans ce même article du « Sud-Ouest », signé par
Pierre Sabathié, est cité Guillaume François, l'avocat UVTF qui précise
qu'après une manifestation contre la corrida du 16 octobre devant la
mairie de Mont-de-Marsan, « des poursuites pénales sont prévues ». « Le
maire de Mont-de-Marsan, présidente de l'UVTF, a été insultée par le
porte-parole des anti-taurins sur la voie publique. On n'en restera pas
là, il sera poursuivi devant le tribunal correctionnel », dit l'avocat.
Rapportées
ainsi, les choses semblent graves, les insultes ont l'air sérieuses.
Mais si l'on se penche un peu plus sur les « poursuites pénales », voici
ce que l'on apprend du côté des associations : à l'occasion de cette
manifestation, Christophe Leprêtre du Réseau Animavie, association de
protection animale, a simplement rappelé qu'en adoptant l'interdiction
de l'accès aux arènes pour les moins de 16 ans, les maires des villes
taurines pourraient éviter des traumatismes psychologiques chez les
enfants, mais aussi des faits divers comme celui de juillet 2012, quand
une fillette de 6 ans s'est faite agressée sexuellement lors d'une
corrida à Mont-de-Marsan http://tianplus.blogs.nouvelo
bs.com/archive/2012/07/22/mont -de-marsan-une-fillette-de-6-a
ns-agressee-sexuellement-p.htm l). Le maire, Geneviève Darrieussecq,
trouve bon en sa qualité de présidente de l'UVTF d'intenter un procès à
ce militant en l'accusant de « diffamation ».
Écoutons l'avis
d'un autre magistrat : « Bien évidemment, le maire n’a été ni complice,
ni co-auteur de l’acte pédophilique et ne doutons pas qu’il déplore
cette agression, ne serait-ce que parce qu’elle nuit à l’image du
spectacle de mort. Mais, il est tout aussi évident que si l’enfant de
six ans n’avait pas été autorisée à assister à la corrida, elle n’aurait
pas été agressée en ce lieu et à cette heure. Pour les besoins de la
cause, à savoir attaquer en justice un opposant, les pro-corrida
feignent de ne pas comprendre le sens évident des propos tenus par
l’animateur de la manifestation. […] Le choix du maire de ne pas
interdire l’accès des enfants aux corridas ne saurait échapper au droit
fondamental de critique et cette dénonciation n’a rien de diffamatoire
et participe de la liberté d’expression » (Gérard Charollois, Président
de la Convention Vie et Nature).
La liberté de manifester et la
liberté d'expression se trouvent entravées par les mêmes acteurs ! Dans
les deux exemples retenus, les agissements du monde tauromachique
s'imbriquent à merveille avec la politique.
Se voir accusé de
diffamation suite à un syllogisme à portée de main, faire courir des
fausses rumeurs, oblitérer les subventions généreuses offertes aux clubs
taurins, voilà les stratégies de communication de ce triste monde.
« Est-ce que ce monde est sérieux ? » (Francis Cabrel, « La corrida »).
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*
« Enfin, le fonctionnement du club taurin « Fiesta y toros » appelle
des observations particulières. Cette association, qui perçoit en effet
plus du tiers de l’enveloppe globale destinée aux associations, a pour
objet la promotion et la maintenance de l’esprit des usages et
traditions taurines ainsi que l’organisation de toutes manifestations et
spectacles à caractère tauromachique ou camarguais.
Aux termes de la convention 2010, l’association est ainsi notamment chargée d’organiser les ferias de printemps et d’automne.
Les
comptes produits au 31 décembre 2009 font état d’un résultat comptable
négatif de 22 000 € en 2009 et de 54 000 € en 2008, de capitaux propres
négatifs de 122 000 € en 2009 et de 104 000 € en 2008. En dépit de
l’augmentation de la subvention en 2009 (elle représente 31 % des
produits d’exploitation), l’association ne réussit pas à équilibrer ses
activités. En 2010, après l’octroi d’une subvention de 120 000 €, une
délibération du 21 septembre 2010 accorde à nouveau à cette association
une subvention exceptionnelle de 30 000 € pour organiser la feria
d’automne, par avenant, alors qu’elle bénéficie déjà d’une convention et
d’une subvention pour ce même objet.
Le même procédé a été utilisé en 2009 avec une subvention exceptionnelle complémentaire de 25 000 €.
Le
club taurin ne produit cependant aucun compte rendu de son activité.
L’article L. 1611-4 du CGCT précise à cet égard que '' toute association
… ayant reçu une subvention peut être soumise au contrôle des délégués
de la collectivité qui l’a accordée ''. Or, ce contrôle ne parait pas
être exercé en l’espèce.
La chambre invite dès lors la commune à
satisfaire à ses obligations légales et ce d’autant plus que la
situation financière de l’association apparaît dégradée » (doc. cité, p.
12).