Ecologie, humanisme et anthropocentrisme.
Le conformisme idéologique, l’apathie morale qui plombent notre société
conduisent les journalistes, commentateurs, décideurs et détenteurs de
micros et de tribunes à ressasser des lieux communs, à faire étalage de
leurs belles âmes formatées.
Il convient de pleurer sur les catastrophes naturelles, sur les sans-logis
dans le froid hivernal, sur le chômage privant l’homme d’un travail qui
confine parfois au servage, ce qui n’empêche pas nos « belles âmes » de se faire complices des forces politiques qui, servant le pouvoir de l’argent,
accentuent les calamités.
La Nature, les animaux sont des sujets mineurs, futiles, dérisoires pour nos penseurs fatigués qui se reposent pesamment sur les acquis intellectuels et éthiques des siècles passés, tout en manifestant une splendide ingratitude pour les hommes de mieux du passé qui sacrifièrent souvent leurs vies pour faire reculer la barbarie : autoritarisme des tyrans, esclavage, torture, féodalisme, obscurantisme, peine de mort.
Seul l’homme est digne d’intérêt, pour ces paresseux de la conscience,
incapables de s’élever au-dessus de la compassion minimale héritée des
siècles ténébreux du monothéisme ou des deux derniers siècles de l’humanisme positiviste.
Aussi, la souffrance des bêtes, les destructions des sites naturels, les
manifestations de rues d’écologistes, les infractions aux quelques lois sur
la préservation du vivant sont occultées, minimisées, traitées avec
légèreté, quand ce n’est pas avec mépris par nos commentateurs sénescents.
Même dans la presse progressiste, à l’exception de l’intelligent CHARLIE
HEBDO, les récitants versent des larmes de crocodile sur les malheurs des
humains, mais parlent de chasse, de torture tauromachique, de promotion
d’infrastructures comme si la mort était un loisir comme un autre.
Cette absence de débat repose sur une confusion conceptuelle entre deux
notions fort différentes : l’humanisme et l’anthropocentrisme.
L’écologie qui remet la vie au centre de tout, ne peut pas être
antihumaniste. L’Homme mérite notre compassion, notre empathie, notre
mobilisation pour la défense de sa liberté individuelle, de ses droits, de
sa dignité et de tout ce que la reconnaissance de ces principes fondamentaux appelle dans l’ordre juridique et politique.
Les acquis de la pensée contemporaine en matière de droits civils, civiques et politiques sont des socles précieux.
Ne boudons pas l’héritage des penseurs iconoclastes d’hier qui, s’ils
militaient en notre temps, pourfendraient sans doute bien des injustices,
des bêtises, des préjugés lâches qu’ils nous restent à débusquer.
Mais l’écologie est un antianthropocentrisme en ce que tout être vivant
éprouvant le principe du plaisir déplaisir mérite cette compassion, cette
empathie, cette mobilisation pour faire reculer la souffrance, la détresse
et la mort.
Ce qui me choque en notre époque grégaire est nullement l’émotionnel
stéréotypé et télécommandé, mais la restriction de l’intérêt et du sentiment à une seule espèce qui s’imagine, à l’encontre de tout fondement scientifique, être le centre de l’univers.
Nos « belles âmes » se proclament progressistes parce qu’elles bêlent à
l’unisson des idées nées au 19^ème siècle, tout en contemplant avec
indifférence ou complicité ces deux loisirs intrinsèquement fascistes, que
sont la chasse et la corrida.
Je n’emploie pas ici le terme de fasciste dans une acception d’invective et
de polémique, mais en son sens politologique profond : culte de la force, de la virilité, volonté de puissance et de domination, rituel guerrier,
exaltation de la mort comme confrontation avec le dépassement de soi.
Nos belles âmes ne sont pas humanistes, ce qui les inciterait à la
subversion, mais anthropocentristes.
L’humanisme est soluble dans l’écologie qui invite à de nouvelles conquêtes éthiques. L’anthropocentrisme ne l’est pas, car il emporte réification du vivant non humain.
L’écologie n’est pas l’amour des bêtes et de la Nature contre l’amour des
hommes . c’est l’un indissociable de l’autre.
L’écologie condamne la guerre, la torture, le servage, l’arbitraire,
l’exploitation par la caste des nantis, mais elle emporte aussi abolition de
la chasse et de la corrida, remise en cause de tout ce qui détruit et
contribue à ajouter du malheur.
Les « belles âmes » devraient s’interroger, si leur assoupissement profond
leur laisse le loisir de penser, sur ce que sont : le vivant, l’animal,
l’humain, la biosphère, l’évolution des espèces, le fait d’être doté d’un
système nerveux donc d’une sensibilité.
Mais il fait si froid que les belles âmes iront se coucher avec une belle
conscience après avoir parlé généreusement des sans logis, du sida, du
chômage et de la dernière catastrophe naturelle. Il y a même des
professionnels de cela, des satisfaits d’eux-mêmes parce qu’ils font de
l’humanitaire, comme d’autres effectuaient naguère des pélérinages.
La Vie appelle plus et mieux que ce conformisme routinier, cette générosité convenue.
La Vie est merveilleuse par sa fragilité, sa diversité, sa simple présence.
Le vrai progressisme aujourd’hui réside dans la réconciliation de l’homme
avec la Nature, dans cette grande prise de conscience que nos maîtres
anesthésistes s’évertuent à différer.
Gérard CHAROLLOIS
Président de la CONVENTION VIE ET NATURE POUR UNE ECOLOGIE RADICALE.