Le Japon devore toujours ses dauphins
Liberation, 20/12/05 - Michel Temman
Des associations se mobilisent pour faire cesser un carnage qui ne ralentit pas.
Tokyo de notre correspondant - Ce jour-la, la mer est calme au large du port de Futo, village cotier de la peninsule d'Izu, a 150 km au sud-ouest de Tokyo. Des bateaux de peche, partis a l'aube, sont de retour. Ils rabattent a l'aide de larges filets une centaine de dauphins. Les cetaces sont pousses vers la cote, bientot prisonniers dans un bassin du port peu profond. La tuerie debute. Auparavant, les pecheurs ont isole six specimens, des meres et leur progeniture, qui seront vendus (tres cher) a deux delphinariums. Dans le bassin, des dauphins blesses sont devenus fous. Des pecheurs les piquent a mort a hauteur du melon (crane). Des cetaces, paniques, se noient. La nuit tombe. La tuerie reprendra plus tard. Blesses, les dauphins sont ainsi laisses dans les filets.
Le lendemain matin, l'abattage reprend. Vivants ou morts, les cetaces sont treuilles hors de l'eau. Attaches par la queue au cable d'une grue, ils sont convoyes par les airs, comme des conteneurs, et emmenes a l'arriere d'une camionnette vers des hangars specialises dans la decoupe. Dans l'un des entrepots, un depeceur cogne un dauphin qui se debat. Il brandit sa pelle-epieu et l'egorge d'un coup. Il lui cisaille la carotide, lui tranche l'abdomen. Mais, stupeur, il ne l'acheve pas. Sur le cote, des cetaces depeces ont ete entasses, tete et queue tranchees, flanc ouvert, appareil digestif a l'air, coeur perce... Le soir venu, la viande de 69 dauphins a ete congelee. Prete au transport vers les retraitants et les restaurants.
«Pas d'abus», selon les autorites nipponnes
Il y a cinq ans, apres leur diffusion dans le monde, les images de ce carnage, filme a Futo les 13 et 14 octobre 1999 par l'association japonaise Ikan, firent scandale. Le tolle fut general. L'impact de la video (1) fut tel qu'a Tokyo l'Agence des peches (qui a rang de ministere) promit d'agir et de limiter les permis de chasse. Que s'est-il passe depuis ? Rien. Ou plutot, si. Tandis que les massacres comme ceux de Futo continuent, filmer les tueries est devenu perilleux, voire risque. Les pecheurs ne chassent plus seulement les dauphins. Ils s'en prennent aussi a ceux qui tentent d'en recueillir les preuves. Ce que confirme Ric O'Barry, ex-dresseur de dauphins, auteur de videos sur le sujet. Le 24 octobre 2003, alors qu'il filmait un abattage a Taiji ou, chaque annee, du 1er septembre au 31 mars, les pecheurs tuent jusqu'a un millier de cetaces, Nicholas Hensey, un jeune Americain, fut ainsi attaque par un groupe de pecheurs. Avant d'etre arrete par la police. Maitre en arts martiaux, le jeune homme avait replique.
«Depuis vingt ans, estime l'ONG EIA (Agence d'enquete sur l'environnement), les pecheurs japonais ont decime 400 000 dauphins et petits cetaces lors de chasses d'une extreme brutalite, au filet ou au harpon electrique.» Les autorites nippones ne dementent pas. «Le Japon est autorise par la Commission baleiniere internationale (CBI) a chasser neuf types de petits cetaces, precise Ryoichi Nakamura, charge du dossier a l'Agence des peches. 22 120 prises annuelles sont tolerees. Il n'y a pas d'abus. S'il y en a, nous retirons le permis de chasse au pecheur qui a faute.» Encore faudrait-il que l'Agence des peches fasse la police des mers. Des ONG denoncent les abattages sauvages au large. Car la filiere brasse beaucoup d'argent. Un petit marsouin de Dall (ishiiruka) est vendu pres de 20 000 yens (150 euros) piece. Un dauphin, bien davantage.
Un mets de substitution a la baleine
La viande de dauphin alimente, en fait, une filiere qui repond a une demande en «captifs frais». «Les Japonais mangent du dauphin», confirme Takaya Watanabe, fonctionnaire a l'Agence des peches. Une «tradition». Comme la baleine. Le dauphin est consomme bouilli, en ragout ou en gelee. Des gourmets raffolent de son coeur, en sashimi (cru). Idem pour les marsouins de Dall, dauphins de Risso, pseudo-orques ou grands dauphins. Plus inquietant, le dauphin alimenterait le marche de la viande de baleine comme «produit de substitution». En clair, des Japonais, croyant se mettre sous la dent un bon steak de baleine, avaleraient du dauphin. Un comble. Que l'Agence des peches dement.
De leur cote, d'autres organisations, dont la canadienne Sea Shepherd, persistent et signent. Elles disent aussi avoir mis en garde les autorites nippones sur les risques que comporte la consommation de viande de dauphin, parait-il tres toxique. Entre mars 2001 et janvier 2004, l'EIA a effectue au Japon des analyses sur 72 produits de dauphins et petits cetaces, en vente dans les supermarches et marches aux poissons de treize prefectures. Resultat : la quantite de mercure par unite mesuree atteindrait 1,88 ppm (parties pour million), cinq fois le niveau autorise au Japon. Un scientifique japonais, Tetsuya Endo, indique, quant a lui, que «les niveaux de mercure et de polluants contamines contenus dans la viande de dauphin peuvent suffire a empoisonner».
Mobilisation pour le «Japan Dolphin Day»
Qu'importe. Pecheurs et consommateurs nippons n'entendent pas revenir sur quatre cents ans de tradition. Le sachant, Sea Shepherd a lance une vaste campagne de sensibilisation, que soutient l'actrice americaine Susan Sarandon, qui prete sa voix a un video-clip, Save the dolphins (sauvez les dauphins), a deconseiller aux ames sensibles. En quelques semaines, aux Etats-Unis, une petition a recueilli 20 000 signatures. Le 8 octobre, declare «Japan Dolphin Day» (Jour du dauphin au Japon) par une soixantaine d'ONG internationales, dont le groupe nippon Elsa Nature Conservancy (ENC), des rassemblements de protestation ont eu lieu devant les ambassades du Japon de quinze pays, du Perou a la Belgique, du Bresil a l'Australie. En France, les associations Reseau Cetaces ou One Voice appellent a la mobilisation et font circuler des appels sur l'Internet (2). Pendant ce temps, sur les cotes du Japon, le carnage continue.
Lien de la video (attention, images choquantes) :
<www.seashepherd.org/taiji/taiji_video.html>
<www.reseaucetaces.org>
<www.onevoiceear.org/campagnes/cetaces>
<www.earthisland.org/saveTaijiDolphins>
<http://www.liberation.fr/page.php?Article=346206>
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La Commission intente une action en justice contre huit Etats membres pour protection insuffisante des baleines, des dauphins et des marsouins, CE, 20/12/05
La Commission europeenne a engage des procedures d'infraction contre huit Etats membres qui n'ont pas assure une surveillance adequate de l'efficacite des mesures prises pour proteger les populations de cetaces – baleines, dauphins, marsouins - relevant de leur competence. En vertu de la directive «Habitats» de l'UE, toutes les especes de cetaces doivent beneficier d'un regime de protection stricte. La surveillance de leur etat de conservation par les Etats membres constitue un element important de ce dispositif. La Commission estime que la Belgique, la France, la Grece, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-Uni n'ont pas mis en place des systemes de surveillance suffisamment efficaces, et leur a adresse un premier avertissement ecrit – premiere etape de la procedure – les informant qu'ils ne respectent pas la directive «Habitats» et doivent prendre des mesures correctives pour garantir une protection complete de ces mammiferes marins.
Conformement a la directive «Habitats» (Directive 92/43/CE), toutes les especes de cetaces sont des «especes d'interet communautaire» - autrement dit menacees, vulnerables, rares, ou necessitant une attention particuliere – et beneficient d'une protection stricte. En outre, la directive impose aux Etats membres de designer des zones de conservation speciale pour le grand dauphin (Tursiops truncates) et le marsouin (Phocoena phocoena). Les Etats membres sont tenus de surveiller l'etat de conservation de tous les habitats naturels et especes couverts par la directive.
A la suite de plaintes faisant etat d'une surveillance insuffisante de l'etat de conservation des cetaces en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, la Commission a examine la situation dans les autres Etats membres dotes d'une facade maritime.
La Belgique et les Pays-Bas ont mis en place des systemes de surveillance pour les cetaces, mais la Commission estime que la frequence de cette surveillance, a savoir une fois tous les dix ans, est insuffisante. Au Royaume-Uni, les activites de surveillance ne couvrent que certaines parties des eaux territoriales et leur frequence est egalement insuffisante. La France, le Portugal et l'Espagne ne menent des activites de surveillance que dans certaines parties de leurs eaux territoriales, et ces activites ne couvrent pas toutes les especes de cetaces. Enfin, les mesures de surveillance de la Grece et de l'Italie sont sporadiques et ne s'inscrivent pas dans une strategie a l'echelon national.
La Commission estime que, pour etre efficace, la surveillance de l'etat de conservation des especes doit etre reguliere, porter sur toutes les especes de cetaces et couvrir toutes les zones dans lesquelles ces especes sont presentes. Le systeme de surveillance doit en outre fournir des informations sur les effectifs et l'aire de repartition des populations de cetaces afin de permettre une evaluation correcte de l'etat de conservation.
Procedure juridique
L'article 226 du traite habilite la Commission a poursuivre en justice un Etat membre qui ne s'acquitte pas de ses obligations.
Si la Commission estime qu’il peut y avoir une violation du droit communautaire justifiant l’ouverture d’une procedure d’infraction, elle adresse une lettre dite de «mise en demeure» (premier avertissement ecrit) a l’Etat membre concerne, l'invitant a presenter ses observations dans un delai determine, habituellement dans les deux mois.
En l'absence de reponse ou si la reponse fournie par l'Etat membre n'est pas satisfaisante, la Commission peut decider d'adresser a ce dernier un «avis motive» (deuxieme avertissement ecrit). Elle y expose clairement et de maniere definitive les raisons pour lesquelles elle estime qu'il y a eu infraction a la legislation communautaire et appelle l'Etat membre a remedier a la situation dans un delai determine, generalement de deux mois.
Si l'Etat membre ne se conforme pas a l'avis motive, la Commission peut decider de porter l'affaire devant la Cour de justice. Si la Cour constate qu'il y a eu infraction au traite, l'Etat membre en cause est tenu de prendre les mesures necessaires pour se mettre en conformite.
L'article 228 du traite habilite la Commission a poursuivre un Etat membre qui ne s'est pas conforme a un arret de la Cour de justice des Communautes europeennes. Cette disposition autorise egalement la Commission a demander a la Cour d'infliger a l'Etat membre concerne une sanction financiere.
Les statistiques relatives aux procedures d'infraction en general peuvent etre consultees a l'adresse suivante:
http://europa.eu.int/comm/secretariat_general/sgb/droit_com/index_en.htm#infractions
Source :
http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/05/1641&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en