UNE FAMILLE D'ORANG-OUTANS AU JARDIN DES PLANTES A PARIS
Le saviez –vous ?
En plein coeur de Paris, à deux pas du Quartier Latin, à l’ombre d'arbres centenaires et de magnifiques bâtiments Art Nouveau, une petite famille d’orang-outans originaire de Bornéo est détenue dans une cage à la Ménagerie du Jardin des Plantes.
La cadette du groupe s'appelle Lingga. Elle est née le 29 août 2005 des œuvres de Wattana, sa mère et de Tubo, son père. Ce dernier, un jeune mâle âgé de 11 ans, n'est autre que le fils de la célèbre Nénette, une doyenne ventripotente qui survit à Paris depuis plus de 30 ans, et de Solok, un mâle mort récemment à l'âge de 34 ans.
Aujourd’hui isolée de sa maman et de toute sa famille dans une cage latérale, la petite Lingga est exhibée dans une sorte de boîtier de verre garni de quelques rares jouets. Une autre vitre la sépare du reste de sa famille qui, sans doute, l'observe du coin de l'oeil. Aucun gardien à l'horizon : les visiteurs indélicats peuvent aussi bien frapper au carreau. Qui leur interdira ?
A l'instar de tant d'orques, de chimpanzées ou d'éléphantes qui accouchent en captivité, la maman de Lingga se montre incapable de s’occuper de sa propre enfant. Rien de plus normal : Wattana est elle-même la fille de Ralphina, une guenon victime d'un trafic illégal et sauvée de justesse à l'aéroport de Roissy en 1987.
Traumatisée, affaiblie, arrachée trop jeune à sa famille, la pauvre Ralphina n'a, bien évidement, jamais pu être réintroduite en milieu naturel. Lorsqu’elle a donné naissance à Wattana, elle n'a pas su comment l’élever et aujourd'hui, Wattana reproduit à nouveau ce comportement. Elle ne sait pas non plus materner sa fille, puisqu’elle ne l’a pas appris !
Des méthodes dites de « training» sont, paraît-il, utilisées par les gardiens de la ménagerie pour que cette maman retrouve ses capacités maternelles (ses «instincts naturels» comme dit le Zoo !) tout en acceptant la présence de l'homme à ses côtés. Un beau défi qui n'est pas gagné d’avance et révèle toutes les difficultés que suscite ce type d'acculturation.
Rappelons d’abord que le terme d’instinct n’a plus grand sens aujourd’hui en terme scientifique, sauf lorsqu’il s’agit d’insectes ou d’autres créatures quasiment automatisée, et dont le cerveau généralement minuscule est programmé pour fonctionner à l’inné et non pas à l’acquis.
Soulignons ensuite que le principal problème avec ces grands singes roux captifs est qu’ils ont désormais perdu toute leur culture, leurs traditions, leur savoir-faire, leurs connaissances durement acquises au fil des millénaires, en symbiose totale avec le milieu forestier qui est le leur, et qui pourrait toujours être le nôtre, si un brusque changement climatique ne nous avait pas transformé en singe coureur des savanes, distincts de nos frères arboricoles.
Quelle sera l’avenir de cette petite guenon ?
On le sait d’avance : Lingga ne retrouvera jamais la forêt de ses ancêtres.
Non seulement elle serait incapable d'y survivre - les "stages de soutien à la parentalité" que reçoit sa mère n'étant conçus que pour la rendre capable d'élever ses enfants au sein d'un zoo - mais en plus, son milieu d'origine est de toutes façons complètement exploité, débité pour son bois rare, remplacé par des palmiers à huile ou carrément réduit en cendres.
Jamais donc, elle ne pourra se lancer joyeusement de branches en branches tout en haut de la canopée ou choisir sur les conseils d’une mère aimante les fruits les plus savoureux qui poussent en certains lieux et à certains moments de l'année, qu'il faut connaître.
Jamais elle ne pourra jouir du parfum des fleurs ou du spectacle d’étonnants insectes courant entre les feuilles. Jamais elle ne frémira aux appels des mâles géants, dont la voix caverneuse fait s'envoler les oiseaux sur des kilomètres de distance....
C'est que le terme de culture n'est pas un vain mot chez les orangs-outangs.
"On le sait depuis peu, l'orang-outang a la capacité d'adopter de nouveaux comportements et de les transmettre aux générations suivantes. Neuf spécialistes des primates ont comparé leurs données qui résultent de plusieurs années d'observation de l'orang-outang du sud-est asiatique. Les recherches portaient sur six groupes d'orangs-outangs de Bornéo et de Sumatra, en Indonésie. Les chercheurs ont répertorié 24 types de comportements distincts ou d'utilisation d'outils, qui sont transmis de génération en génération. C'est ce qu'ils expliquent dans le magazine Science du 3 janvier 2003.
Birute Galdikas, qui travaille à l'Orangutan Foundation International de Los Angeles, aux États-Unis, et à l'Université Simon Fraser, en Colombie Britannique, au Canada, explique que l'existence d'une culture chez les orangs-outangs montre que l'origine de la culture est plus ancienne qu'on ne le pensait.
Elle daterait de 14 millions d'années, date à laquelle les ancêtres des grands singes asiatiques et la lignée des hominoïdes africains, qui a donné naissance aux chimpanzés, bonobos, gorilles et humains, se sont séparés.
A Bornéo comme à Sumatra, les orangs-outangs envoient un baiser sifflant, en aspirant l'air avec leurs lèvres resserrées. Mais seul les primates qui vivent à Bornéo ont découvert qu'ils pouvaient amplifier le son obtenu en plaçant leurs mains autour de leur bouche.
Avant d'aller se coucher, un groupe de singes émet un sifflement en soufflant de l'air entre ses lèvres pressées, comme pour se dire bonsoir. Un autre groupe utilise des brindilles pour attraper des insectes dans les troncs d'arbres ou pour ôter les graines des fruits. Les orangs-outangs se servent aussi des feuilles : à Sumatra, pour prendre des fruits piquants et à Bornéo, pour s'essuyer la figure.
Ces habitudes, qui ne se retrouvent que chez certains groupes, ne dépendent pas uniquement de l'environnement des animaux et les similitudes sont plus fortes chez les groupes qui vivent à proximité.
Elles constituent la preuve d'une transmission sociale de comportements, qui a déjà été mise en évidence chez d'autres espèces comme le chimpanzé.
Birute Galdikas estime que le développement de cette culture est le signe d'un niveau cognitif élevé.
Elle affirme que les orangs-outangs sont aussi intelligents que les chimpanzés ou les gorilles mais qu'ils ont une personnalité et une mentalité différentes.
Bornéo et Sumatra sont les deux derniers endroits au monde où l'on trouve encore des orangs-outangs. Ils ne sont plus que 20 000. Protégés, ils n'en demeurent pas moins une espèce menacée d'extinction".
http://observer.guardian.co.uk/uk_news/story/0,,1749987,00.html
Lingga ne saura rien de tout cela…
Pas plus qu’un dauphin né en bassin ne peut savoir ce que signifie le son de la marée, la force des vagues de tempêtes ou les cris des poissons sauvages, la petite Lingga ne fera jamais l’expérience d’une vie au sommet des arbres.
Elle deviendra, comme tous ses semblables captifs, une sorte de pantin décérébré à l'apparence de singe, un objet d’exposition juste bon à être regardé et qui, toute sa vie – laquelle, parfois, peut être très longue - se contentera de dormir, de bouffer, de se faire mettre enceinte répétitivement, d'être déplacée d'un zoo vers un autre, afin d'assurer la survie du précieux génome de son espèce et de jouer avec ses excréments en regardant le ciel gris au travers du grillage.
Elle ne sera ni de notre Monde Humain ni du Monde des Singes Roux, car, contrairement à Washoe, Kanzi ou Koko, notre petite Lingga ne bénéficiera pas des stimulations curieuses et passionnantes que sont le langage signé, les reportages à la télévision, les revues illustrées ou les peluches en forme d'animaux.
Elle n'ira pas se promener main dans la main avec son gardien en pleine campagne, ni ne fera des conférences de presse pour plaider la cause de ses semblables, comme a pu le faire Koko.
Elle sera prisonnière toute sa vie dans une cage minuscule par rapport à ses territoires ancestraux, payant pour le seul crime de ne pas être humain...
Jane Goodal, cette femme admirable qui mériterait un Prix Nobel, n’a cependant pas tort d’honorer de sa visite la Ménagerie du Jardin des Plantes et de féliciter ses gestionnaires des soins qu'ils donnent à leurs grands singes.
Il est clair que le sort de Lingga sera toujours plus doux que celui de ses semblables encore en liberté, que des Indonésiens hilaires s’amusent à ligoter au tronc d’un arbre puis de griller vivants en les arrosant d’essence.
Mais est-ce vraiment là le monde que nous voulions ? Des animaux en cage et d'autres massacrés ? Plus de nature sauvage nulle part, rien que de l'ennui et de la souffrance, au service de l'argent ?
Est-ce vraiment le destin des grands singes, des cétacés, des ours, des loups ou des éléphants que de se transformer en objets de spectacle à l'usage des Humains ?
Notre fragile Planète Bleue, notre Patrie à tous, ne serait-elle pas infiniment plus belle, plus riche, plus passionnante encore pour les générations futures, si on laissait à ces magnifiques mammifères supérieurs dotés de hautes cultures, de conscience de soi, de langages et d’intelligence, le droit d'élever leurs enfants selon leurs mœurs et leurs traditions, dans leurs pays ou leur mers d’origine, en parfaite symbiose amicale avec les Humains en des lieux préservés ?
On peut rêver.
Il est possible aussi qu’il soit déjà trop tard et que la petite Lingga soit l'ultime de sa race, tout à la fois victime et protégée des Zoos, comme le furent autrefois les derniers tigres de Tasmanie.
YG Bruxelles
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