Animal: candidat à l'humanité???

Le lundi 1er août 2005 - Trop de solitude humaine ou de sollicitude? Certains animaux de compagnie ne sont plus considérés désormais comme des bêtes, mais bel et bien comme des enfants!

Les animaux désormais au seuil de l'humanité?

François Lubrina

collaboration spéciale, La Presse

Prophète à sa manière, Victor Hugo voyait déjà le chien comme un véritable «candidat à l'humanité». Aujourd'hui, cette vision plutôt audacieuse, pour l'époque, de l'auteur des Contemplations, deviendrait-elle réalité?


Certaines prémices, en tout cas, semblent annoncer un changement radical en matière de statut juridique et social pour ces «misérables» à quatre pattes, jusqu'à présent sans âme et sans véritable existence juridique. Après avoir longtemps été considérés, en effet, comme de simples biens meubles évalués à leur vulgaire valeur marchande par le Code civil, les animaux de compagnie sont en en train de se tailler, quelques juges américains aidant, les même droits que des personnes à part entière...

Le Sunday Telegraph du 26 juin dernier rapporte, à cet effet, le cas
émouvant de Missy, une chienne bâtarde que ses maîtres, Jim et Kris Noyes, avaient adoptée dans un refuge pour la modique somme de 100 $US). Depuis trois ans (et quelques interventions vétérinaires boiteuses plus tard, semble-t-il ils réclament des dommages de plus de 50000 $ pour une série de chirurgies apparemment bâclées. Lesquelles, selon ses maîtres, auraient fait énormément souffrir leur compagne désormais sur trois pattes, l'amputation du membre postérieur gauche ayant même été nécessaire.

Ce couple a fortement été encouragé, dans sa démarche judiciaire, par une série de jugements favorables aux animaux. Ils émanent de magistrats se détachant de plus en plus résolument de la définition stricte et légale de l'animal, en ne le considérant plus comme un simple bien meuble. M. Noyes parle en effet, et avec beaucoup d'émotion dans la voix, de sa chienne comme si c'était «sa propre fille». Plusieurs tribunaux américains admettent donc ce que nombre de propriétaires de chats, de chiens, de serins ou de poissons rouges estiment depuis fort longtemps, avec leur coeur et leur gros bon sens, comme une évidence: Minou, Pitou et Jacadi le perroquet, font bel et bien partie de la famille!

Conséquence directe de cette nouvelle appréciation juridique de la vie
animale, des juges, tant au Kentucky qu'en Californie, ont donc condamné des vétérinaires à des dommages dépassant largement la simple valeur vénale de la bête. De quoi encourager M. Noyes dans sa poursuite: «Cela nous a vraiment bouleversés de voir Missy souffrir autant. Cela n'aurait jamais dû se produire. Les vétérinaires devraient être tenus responsables pour leurs actes de la même manière que les autres professionnels».

À ce jour, et dans un cadre juridique de plus en plus anthropomorphique, il semblerait que les réclamations les plus importantes obtenues pour fautes professionnelles s'élèvent à 39 999 $. Cette somme a été allouée à Marc Bluestone par un jury du comté d'Orange, en Californie, pour sa chienne «Shane», une pure mélange adoptée pour une centaine de dollars. Laquelle est décédée, selon ce dernier, d'insuffisance hépatique après un mauvais diagnostique et 21 000 $ de soins vétérinaires. M. Bluestone, a d'ailleurs déclaré ne pas avoir intenté ce procès pour des raisons bassement pécuniaires, mais parce qu'il estimait que c'était «sa mission»: «La manière dont je ressens tout cela, c'est que Shane fait partie de moi et je fais partie d'elle!»

Certes, la famille Noyes n'est pas encore au bout de ses tribulations
judiciaires. Le couple s'apprête, en outre, à réclamer une somme
substantielle pour dommages moraux. Missy, en effet, se déplace moins
facilement qu'avant, et l'avocat de la famille Noyes, Me Amy Breyer, ne
manquera pas de souligner la perte de jouissance morale pour ses clients.

Ces poursuites, parfaitement justifiées pour les propriétaires d'animaux
particulièrement attachés à leur bête, se seront pas sans conséquences pour les médecins des bêtes. Selon Jim Wilson, expert près les tribunaux de Pennsylvanie et spécialisé en médecine vétérinaire: «Tous ces signes
annoncent que la vie des vétérinaires ne sera plus jamais comme avant». Ce nouveau créneau, fort prometteur, attire d'ailleurs plusieurs avocats. Ils étaient 64 spécialistes aux États-Unis en 2003; ils sont 227 aujourd'hui.

L'American Veterinary Medical Association, quant à elle, estime que ses
membres passeront de plus en plus de temps et dépenseront davantage d'argent pour se défendre devant les tribunaux, à l'instar des médecins humains. Et son président, le Dr Bonnie Beaver, d'ajouter: «Les coûts des soins pour les animaux vont augmenter, ce qui rendra la possession d'un animal de compagnie trop onéreuse pour nombre de personnes».

Quant à la responsabilité parentale envers son propre animal,
deviendra-t-elle la prochaine étape dans ce processus juridique? Dans le
style «La petite Mirza, l'enfant martyre», en cas de relâchement affectif de
la part de ses «parents», d'abandon ou de dressage trop viril pour la chasse aux canards sauvages?

http://www.cyberpresse.ca/actuel/article/article_complet.php?path=/actuel/article/01/1,4230,4903,082005,1118591.shtml