Gabon-faune-société - Des gorilles dans l'assiette
LIBREVILLE, 4 sept (AMI) - Du piment, du sel, un cube de bouillon, des
oignons et, surtout, des quartiers de singe, tête incluse. Laissez cuire
dans la marmite et le plat est servi. Chez "Maman Marie Gibier" à
Libreville, il coûte 1.500 francs CFA (2,3 euros) et régale de nombreux
clients.
"Je mange le singe depuis que je suis petite. Je n'en mange pas tous les
jours mais quand j'ai l'occasion. C'est bon", assure Sandra, Gabonaise de 28 ans. L'appétit de cette jeune employée de banque disparaît toutefois
lorsqu'il s'agit des grands primates. "Le gorille, il a la morphologie d'un
homme. On ne peut pas manger ça. Quelle horreur !", lâche-t-elle.
Son collègue Jean, lui, semble moins dégoûté. "La viande de singe, grand
ou petit, c'est pareil une fois dans la gamelle", estime-t-il.
Si les primates restent rares sur les étals des marchés de la capitale
gabonaise, leur viande ne constitue pas moins un mets recherché. Cette
demande alimente une importante activité de braconnage dans les forêts de la région, au point de menacer la survie des grands primates, thème d'une conférence internationale qui s'ouvre lundi à Kinshasa.
La cuisinière de "Maman Marie Gibier" avoue acheter deux singes par jour,
contre cinq dans les années 1990, mais seulement un ou deux chimpan-zés et gorilles des plaines de l'ouest, espèces protégées, par an.
Fumés ou tout simplement morts, les primates se vendent de 9.000 francs
CFA (14 euros) pour un singe à nez blanc à 40.000 FCFA (61 euros) pour un mandrill, grand singe partiellement protégé. Le prix du gorille oscille
entre 20.000 et 30.000 FCFA (30 à 45 euros).
Selon une étude menée par des ONG et le ministère gabonais des Eaux et
Forêt, les grands primates, bien plus chers que les poulets et autres
viandes d'élevage, représentent moins de 1% de la viande vendue sur les
marchés des quatre principales villes du Gabon.
Malgré le peu de goût des Gabonais pour les grands singes, les "cousins",
et leur faible distribution, "la consommation est importante car ces espèces sont déjà menacées", estime Olly Thomas, responsable du projet gibier de la Darwin Initiative, financée par l'université britannique de Stearling.
M. Thomas s'appuie sur une étude de 2003 dans la revue Nature, selon
laquelle la chasse à des fins commerciales est la principale cause de
disparition des grands primates au Gabon et au Congo, où étaient concentrés environ 80% des gorilles et la plupart des chimpanzés avant l'apparition de la fièvre hémorragique Ebola.
"Les concessions forestières ouvrent des routes et permettent aux
chasseurs d'entrer dans la forêt où n'importe quel singe qu'ils rencontrent
est menacé", fait-il valoir.
"Ceci pousse les grands singes à s'éloigner de plus en plus des grandes
concentrations humaines", poursuit ce chercheur, précisant qu'"on ne les
trouve plus aujourd'hui que dans le sud-ouest et le nord-est".
Entre 1983 et 2000, le nombre des primates, qui se reproduisent
lentement, a diminué de plus de moitié, selon l'étude de Nature.
La création de 13 parcs nationaux en 2002 n'y a pas changé grand chose:
le braconnage y sévit toujours face à une loi largement inappliquée par
manque de moyens et de volonté, selon M. Thomas.
"Les Gabonais ont adopté cette loi mais elle vient d'ailleurs", soutient
Léon, amateur de viande de brousse. "Il faut faire un travail pédagogique et trouver d'autres substituts" à la viande de singe, concède-t-il mais pour
lui, "le Gabon reste avant tout un pays de chasseurs".
AMI
http://www.ami.mr/fr/Archives2005/septembre/4/7.htm