Les animaux face aux lumières de la nuit

Fascination, fuite ou adaptation: les animaux face aux lumières de la nuit

vendredi 23 septembre 2005, 12h00

PARIS (AP) - Insectes déboussolés, chauves-souris gênées dans leur recherche de gîte ou merles "chanteurs" en pleine nuit... Les éclairages nocturnes des zones urbaines, dénoncés par les passionnés d'astronomie, ont aussi un impact sur le comportement de certains animaux.

S'il existe peu d'études scientifiques sur le sujet, les insectes figurent
très certainement au premier rang des espèces affectées par ce "crépuscule permanent", souligne Pierre Brunet, secrétaire adjoint de l'Association nationale pour la protection du ciel nocturne (ANPCN) en rapportant que "les lumières artificielles sont la deuxième cause d'extinction des insectes, après les produits phytosanitaires".

Il se souvient ainsi des grands paons de nuit -papillons jusqu'à 15cm
d'envergure- ramassés pendant son enfance dans le Vaucluse au pied d'un lampadaire autour duquel ils avaient tournoyé jusqu'à épuisement. C'était dans les années 60, au moment des lampes à vapeur de mercure qui émettaient des rayonnements ultraviolets.

Ces sources ont "un effet attractif très fort" sur nombre d'insectes
nocturnes, explique Gérard Luquet, du Muséum national d'histoire naturelle.
Ce chercheur en entomologie évoque une "véritable hécatombe partout en
Europe" liée aux "pièges incroyables" que sont ces réverbères urbains. Oeufs pondus au pied des lampes par les femelles et dévorés par les prédateurs, mâles tournant autour des éclairages "au lieu de perpétuer l'espèce"... "Le temps passé à être collé à la lumière n'est pas un temps passé à se reproduire", note Laurent Péru, docteur en entomologie et directeur du Muséum aquarium de Nancy.

Pour certains animaux, l'attraction exercée par des éclairages sur les
insectes représente une aubaine. Ainsi, des chauves-souris telles la
Pipistrelle commune "profitent de la lumière" pour venir chasser des
insectes alors que le Petit Rhinolophe, espèce très lucifuge (qui fuit la
lumière) au même régime alimentaire "montre une adaptabilité moindre",
précise Laurent Arthur, conservateur adjoint du Muséum d'histoire naturelle de Bourges.

Ce spécialiste en chiroptères n'hésite pas à dénoncer "certaines politiques
de dilapidation de l'énergie" consistant à éclairer systématiquement
églises, châteaux et vieilles pierres, dont les combles constituent le
logement de chauves-souris, qui viennent à les déserter quand l'obscurité
n'est plus. Avec de telles mises en lumière, "on supprime un habitat",
déplore Pierre Brunet en ajoutant que des animaux se sont aussi adaptés aux éclairages artificiels. Ainsi, un changement de comportement du Faucon pèlerin, rapace diurne, a été selon lui constaté au château de Belfort puissamment éclairé: l'oiseau était "actif en soirée", capturant ses proies grâce aux faisceaux des projecteurs.

De même, le chant nocturne d'un oiseau diurne à côté d'un lampadaire est
pour le moins "révélateur" d'une perturbation. Le merle noir peut ainsi
"chanter et défendre son territoire même de nuit, quand la lumière est
allumée", d'après Jean-François Magne, directeur adjoint du CORIF (Centre ornithologiste Ile-de-France). Un comportement qui joue forcément sur la reproduction, l'oiseau étant "moins concentré au nourrissage et à l'élevage des nichées". Sans compter, selon Pierre Brunet, des vols d'oiseaux migrateurs pouvant être perturbés si les couloirs passent au-dessus de zones de concentration urbaine éclairées.

En plein océan Indien, à la Réunion, des chercheurs ont étudié les problèmes liés à l'attraction exercée par les lumières artificielles sur des oiseaux marins, en particulier les Pétrels de Barau. Depuis 1996, ils ont ainsi constaté qu'à leur premier envol de nuit, entre 200 à 800 jeunes de cette espèce tombent chaque année, attirés par les éclairages, sans pouvoir redécoller: "une fois au sol, ils meurent de faim, d'insolation ou sont dévorés", souligne Matthieu Le Corre, enseignant-chercheur au laboratoire d'écologie marine de l'université de la Réunion.

Une opération sauvetage a été lancée par la Société d'études ornithologiques de la Réunion (SEOR) qui propose aussi l'inclusion d'un cahier des charges dans les projets d'aménagement pour installer des éclairages tournés vers le sol. "Pour l'instant, on ne peut pas dire que ce soit vraiment effectif", remarque Matthieu Le Corre.

A la Défense, aux portes de Paris, une extinction définitive des feux de 22h à 7h30 est en revanche en vigueur à la Tour AXA depuis janvier 1997. D'après Yan Balat, d'AXA France, la volonté d'économie d'énergie n'explique pas à elle seule cette décision: des oiseaux, attirés par la lumière, allaient s'écraser contre les vitres.

Des expériences ont en outre mis en évidence que, de nuit, des grenouilles ne parvenaient plus, avec la lumière, à distinguer proies, prédateurs ou congénères, selon la Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage, qui ajoute que les éclairages publics nocturnes ne semblent pas contrarier le renard ou la fouine.

Reste que seules des études précises permettraient de relever des impacts effectifs de la lumière artificielle sur les animaux, comme le remarque Jean-Paul Gendner du CEPE de Strasbourg (Centre d'écologie et physiologie énergétiques, CNRS), pour qui une chose est "certaine": la fabrication de l'énergie nécessaire à la "pollution lumineuse" touche à "des ressources naturelles limitées". La Ligue ROC, comme d'autres, appelle donc à la recherche et à la lutte contre le gaspillage énergétique. AP

http://fr.news.yahoo.com/050923/5/4ll0w.html