Dans la série "animaux nuisibles", nous passons du coq à l'âne, ou plutôt
des moustiques piqueurs en bande (Le Monde du 30 septembre) à celles qui ont réjoui notre enfance : les vaches.
A vrai dire, nous ne ressentons aucune fierté à dénoncer ces paisibles
ruminants dont le poncif voudrait qu'ils aiment à regarder les trains en
pâturant l'herbe verte. N'ayant jamais au grand jamais crié avec la meute le terrible "mort aux vaches !" , c'est sans joie qu'il nous faut les abattre,
verbalement s'entend, vu le danger qu'elles font courir à la planète
entière.
Non, il ne s'agit pas d'une résurgence de l'affection gravissime connue sous le label de la "maladie de la vache folle". Cette affaire a fait couler
beaucoup d'encre et brûler des montagnes de carcasses. Le souvenir en reste cuisant dans plus d'une ferme du Royaume-Uni, si l'on peut se permettre de parler ainsi.
Le danger du moment a été identifié dans une étude de la Caisse des dépôts.
On peut au passage se demander ce que vient faire dans une histoire d'étable cet organisme financier public. Si vous vous demandiez, en ces temps de vaches maigres pour les finances publiques, à quoi sert la Caisse des dépôts, vous serez bien aise de le savoir : elle s'assure que les vaches sont bien gardées. Pour cela, elle les regarde. De près. Et à première vue, d'après l'auteur de l'étude, Benoît Leguet, l'air qui sort de leurs babines n'est pas très ragoûtant.
Sous le titre "Agriculture et réduction des émissions de gaz a effet de
serre", on apprend avec stupeur que les bovins, dotés comme chacun sait de quatre estomacs, sont responsables de 6,5 % des émissions françaises de gaz réchauffant la planète. Soit trois fois plus que les 14 raffineries de pétrole du pays...
Avouons-le sans fard, la nouvelle fait tourner notre lait au vinaigre.
L'étude publiée le 29 septembre précise que, contrairement aux idées reçues, les flatulences des vaches ne sont guère en cause, ou seulement de façon marginale. Ce sont en revanche leurs rots et leurs déjections qui entraînent de sérieux dégâts dans l'atmosphère.
Ainsi les rots expédient-ils chaque année dans l'atmosphère la bagatelle de 26 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Et le stockage des déjections avant épandage dans les champs représente 12 millions de tonnes.
Il faut l'admettre : les substances rejetées par nos croyait-on inoffensifs
bovins sont du méthane et du protoxyde d'azote, précisément les gaz les plus importants à l'origine du changement climatique en cours.
Il n'est pas besoin d'être fortiche en calcul pour saisir que les vingt
millions de bovins recensés dans la douce France rendent chaque jour
l'atmosphère plus irrespirable. Nous qui avions été élevés selon des
croyances anciennes (vertus organiques des bouses de vache, bol d'air pur garanti dans nos campagnes), le retour au réel est brutal.
L'auteur de l'étude alarmante préconise aux éleveurs de changer fissa le
régime alimentaire de leurs bêtes : remplacer le fourrage par des granulés à plus haute valeur nutritive ou par des aliments plus digestes, genre soja ou luzerne. Soit. Mais une question nous trouble tout à coup. Devrons- nous cesser de respirer, nous les humains, pour que la Terre reprenne un peu son souffle ?
éric fottorino
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-694635,0.html