Le président de la Slovénie serait V
La révolution humanitaire du Président slovène : vive le sous-commandant
Drnovsek !
Traduit par Mandi Gueguen
Toujours en campagne, il pratique la méditation et s'écarte du politiquement
correct dans des discours sans détours. Il s'agit de la nouvelle vie du
Président slovène, Janez Drnovsek, engagé sur plusieurs fronts, à commencer
par celui du Darfour. Le gouvernement de droite de Janez Jansa tremble,
l'opinion
publique slovène soutient.
Par Franco Juri
Le fondateur du Mouvement pour la justice et le progrès - créé à l'encontre
de la pratique institutionnelle démocratique parlementaire - n'est autre que
le Président de la République de la Slovénie, Janez Drnovsek. Un mouvement
pour l'instant « virtuel », un forum fondé sur l'action en ligne « ouvert à
tous ceux qui veulent contribuer par leurs idées et leurs propositions, à
améliorer la vie en Slovénie et dans le monde »... Cela est d'autant plus
nécessaire, d'après le Président, que « les gens du peuple ne croient plus
aux partis et à la partitocratie ».
Le sous-commandant Drnovsek
Selon les observateurs, il s'agit d'une manouvre à forte connotation
politique, mais étrangère aux coutumes du système ; un peu comme l'action du
sous-commandant Marcos et son marketing de la justice, sans armes. Janez
Drnovsek n'a pas sa langue dans la poche. « Loin des partis et des luttes de
pouvoir ! », s'exclame-t-il depuis son pupitre présidentiel, suscitant des
rumeurs, de l'embarras et d'éloquents silences parmi l'élite politique,
aussi bien à droite qu'à gauche.
Cette manouvre, qui fait la une des journaux et occupe les psychologues et
les analystes politiques à Ljubljana, n'est qu'un coup de théâtre, par
lequel un Drnovsek - tout le contraire de l'homme de pouvoir pragmatique et
calculateur, fidèle du sommet de Davos qu'il fut pendant tant d'années -
surprend depuis quelques mois les responsables politiques, les médias et
l'opinion
publique.
Que le Président ait profondément changé en un an, son nouveau style de vie
l'avait déjà montré. Maison à la campagne, cuisine macrobiotique et
végétarienne et autosuffisance, contact avec la nature, méditation (fasciné
qu'il est par le Dalai Lama et les philosophies orientales), ainsi qu'un
intérêt prononcé pour les questions humanitaires, la philanthropie, la
solidarité, le bien social...
disciple du Dalai Lama
Et surtout, fin des hypocrisies diplomatiques, appel au civisme, à la bonté
de la politique : dire toujours ce qu'on pense être juste. Voilà la recette
de survie à sa maladie, qui - selon le diagnostic des médecins - lui promet
une ablation du rein touché par un cancer cinq ans plus tôt. Janez Drnovsek
en a parlé avec une incroyable désinvolture et force d'âme. Il a abandonné
les cures médicales traditionnelles depuis l'année dernière, quand les
médecins avaient constaté des métastases. Pourtant Janez Drnovsek est
persuadé que par sa propre force, un humanisme actif et une vie alternative,
on peut se soigner bien mieux qu'on ne le croit.
Sceptique et un peu froissée, la profession médicale s'accorde à l'opinion
publique. Et Drnovsek les surprend tous, jour après jour. C'était déjà le
cas lorsqu'il s'exprimait favorablement à l'indépendance graduelle du
Kosovo, crispant d'irritation la Serbie, le gouvernement et la diplomatie.
Il a aussi contesté l'attitude de chantage de Dimitrij Rupel à l'encontre de
la Croatie, en soutenant - comme son collègue croate Stipe Mesic - un
arbitrage international sur les frontières maritimes. Il commente, insolent,
les perspectives financières européennes : les fonds pour l'agriculture vont
être réduits, pour qu'en profitent surtout les bailleurs de fonds comme la
reine d'Angleterre.
prophète de la paix au Darfour
Enfin, et c'est le plus surprenant, il s'aligne avec les syndicats, en leur
laissant la parole, deux jours seulement avant la grande manifestation
contre les réformes néolibérales souhaitées par le gouvernement Jansa. Et
puis, voici le Darfour, le nouveau grand défi de Drnovsek. Il faut en finir
avec les catastrophes humanitaires et la nouvelle guerre qui menace la
région, martyrisée entre le Tchad et le Soudan. Si la communauté
internationale le souhaite, elle peut le faire, soutient, convaincu et d'une
voix forte, le Président. Mais il ne s'en tient pas là : seul parmi les
chefs d'État internationaux, il pointe le doigt sur les vraies causes du
génocide, les intérêts pétroliers de la Chine, la condescendance des
États-Unis, attentifs au dialogue avec le gouvernement de Khartoum pour
essayer d'isoler Al-Qaeda, l'inefficacité et l'apathie de l'Europe et de
l'ONU.
Janez Drnovsek invite au palais gouvernemental les organisations
humanitaires slovènes et invoque une action concrète, un camp et de l'aide
alimentaire pour 10 000 réfugiés. Puis, il envoit des dizaines de lettre aux
responsables politiques, aux écrivains, aux acteurs, aux scientifiques et
annonce une visite au Darfour en février, sans consulter personne, encore
moins ses propres diplomates qui expriment leur irritation et déconseillent
au Président d'entreprendre ce dangereux voyage africain qui, selon le
ministre des Affaires étrangères Rupel, « coûterait trop cher ».
L'irritation
du gouvernement est d'autant plus forte qu'il se retrouve impuissant face au
soutien décidé de l'opinion publique et même d'une partie des média aux
engagements humanitaires du président.
et compagnon d'Evo Morales
En réponse, Janez Drnovsek vole à Paris, puis à New York pour voir Kofi
Anan, discute avec Clinton, intervient sur le sujet à CNN et, au grand
désespoir du gouvernement Jansa, désormais silencieux, apparaît - et c'est
le seul chef d'État européen - au premier rang, comme invité d'honneur, à la
cérémonie d'investiture du nouveau Président de la Bolivie Evo Morales, qui
a juré à Tiwanaku fidélité aux idées de Tupac Katari et Ernesto Che Guevara.
Janez Drnovsek ne se démonte pas. Il revient au pays, s'envole pour le
Kosovo où il participe aux funérailles de l'ami Ibrahim Rugova, et continue
à surprendre.
Entretemps, ses appels ont été entendus et il a reçu des promesses
encourageantes de la part de Kofi Anan, le Département d'Etat américain et
Hillary Clinton. À ce point, avec autant d'attention, Javier Solana lui
écrit aussi en lui promettant un sommet européen sur le Darfour le plus vite
possible. Janez Drnovsek pourtant ne s'en satisfait pas et continue de
proposer des gestes concrets et immédiats.
Qu'on arrête la guerre entre N'Djamena et Khartoum ! La France, qui a des
unités militaires au Tchad, doit les mettre de suite à la disposition de
l'ONU
et des forces multinationales africaines faibles, aux frontières avec le
Soudan, demande Drnovsek à Chirac. Que Khadaffi en fasse d'autant avec les 3
000 soldats qu'il a promis. Samedi dernier, un africaniste notoire, écrivain
et militant humanitaire slovène, Tomo Kriznar, est parti pour le Darfour.
Engagé depuis des années pour la cause du peuple Nuba, il et est désormais
le premier conseiller du Président sur le sujet africain. Prenant un gros
risque, il bénéficie de la confiance absolue du Président. Il le représente
dans tous les contacts qu'il devra tisser au Darfour même avec les leaders
des mouvements armés en guerre contre Khartoum. Il faut dialoguer avec tout
le monde, soutient Janez Drnovsek : avec le gouvernement mais aussi avec les
« seigneurs de la guerre », avec la Chine et les autres superpuissances.
Sur la raison d'un tel engagement de la Slovénie, le Président n'a aucun
doute : un petit pays qui n'a pas d'intérêts géostratégiques peut faire plus
et avoir plus de crédibilité que n'importe quelle autre superpuissance. Une
approche scandinave, en somme. En attendant, en Slovénie, ils sont nombreux
à attendre, le souffle suspendu, la prochaine manouvre de Janez Drnovsek.
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