Des changements radicaux ont été opérés au cours des dernières décennies dans les écosystèmes Alpins. Avec le développement des sports d’hiver, de vastes zones jadis tranquilles durant tout l’hiver subissent aujourd’hui la visite quotidienne de dizaines de milliers de touristes entre décembre et mars.
Cette affluence ne va pas sans poser de problèmes à la faune qui n’a pas toujours la possibilité de s’adapter. En effet, pour faire face à des conditions météorologiques difficiles, la faune sauvage des Alpes a développé des stratégies particulières et la balance énergétique des animaux ne tient souvent qu’à un fil : économiser une énergie d’autant plus rare et précieuse que les conditions alimentaires hivernales sont difficiles. Ainsi, la moindre perturbation extérieure peut potentiellement altérer ce subtil équilibre physiologique qui, au-delà d’un certain seuil, ne peut plus être rétabli et compromet la survie des animaux.
Un groupe de chercheurs suisses et autrichiens, dirigé par le Professeur Raphaël Arlettaz (Université de Berne et Station Ornithologique Suisse), s’est penché sur le cas du tétras lyre, un grand coq de bruyère qui vit sur les espaces les plus prisés des skieurs, à savoir la zone de pâturages boisés et de lande située entre la forêt subalpine et les pelouses de haute altitude. Pour ce faire, les chercheurs ont collecté les déjections des oiseaux et y ont recherché la corticostérone, une hormone considérée comme un révélateur du stress énergétique chez les oiseaux.
Dans un premier temps, dans différents sites à pression humaine plus ou moins importante, ils ont évalué les niveaux de stress chronique (effet cumulé du stress sur le long terme) auxquels sont confrontés les oiseaux. Les résultats démontrent clairement un niveau de stress plus important que la normale (environ 20 %) dans les milieux à pression humaine modérée (zones de randonnée à ski ou à raquettes, ski hors-piste, snowboard…) et forte (proximité des stations de ski). Dans un second temps, les chercheurs ont équipé des oiseaux sauvages d’émetteurs radio permettant leur identification individuelle et localisation afin d’évaluer le stress aigu lors d’un dérangement. Ensuite, approché par un observateur, l’oiseau soumis à l’expérience s’envole précipitamment de son igloo (1), au fond duquel sont récoltées les crottes. Les résultats ont été sans équivoque : le niveau de stress fait un saut de 60 % entre les jours sans aucun dérangement et les jours où les oiseaux ont été sciemment dérangés par les chercheurs.
Ces variations du niveau de stress en fonction du dérangement des oiseaux pourraient expliquer pourquoi les populations de tétras lyres sont en moyenne 30 à 50 % moins denses dans les régions où les activités de sports d’hiver sont intenses. Aussi, pour le R. Arlettaz, une première conclusion s’impose d’ores et déjà : 'Seule la création de zones de refuges hivernaux adéquats pourra à long terme permettre à la faune sauvage des Alpes de résister à la pression toujours plus grande des activités humaines sur ces écosystèmes sensibles.' Pour ces raisons, le groupe de recherche va maintenant s’atteler à la production de modèles qui permettront de situer géographiquement les emplacements prioritaires pour la création de telles zones de tranquillité, lesquelles profiteront à l’ensemble de la faune sauvage.
Si cette étude a le mérite de prouver scientifiquement la pression qu’exercent les sports d’hiver sur les tétras lyre, le canton des Grisons, dans l’Est de la Suisse, a déjà fait le même constat et mis en place des espaces dédiés à la faune. Dans ces espaces, toute présence humaine est interdite durant la période hivernale, tandis que le survol de certaines zones est également interdit en parapente ou aile delta, ces équipements de part l’ombre qu’ils projettent au sol pouvant être assimilés à des prédateurs par le gibier.
Pascal Farcy
1- En hiver, les tétras lyres passent plus de 20 heures par jour au repos dans des igloos. Ils bénéficient ainsi à la fois d’un effet de tampon thermique qui permet de limiter les déperditions énergétiques, tout en étant protégés des prédateurs.
source : www.univers-nature.com