Les leucémies infantiles plus fréquentes près des centrales nucléaires
LE MONDE | 11.12.07
Le risque de leucémie augmente de façon "statistiquement
significative" chez les enfants vivant près des centrales nucléaires,
selon une étude réalisée pour le compte de l'Office fédéral allemand
de protection contre les rayonnements.
Cette étude, rendue publique le 8 décembre par le quotidien
Süddeutsche Zeitung, a été réalisée par des chercheurs de
l'université de Mayence à partir de données épidémiologiques couvrant
la période 1980-2003. Parmi les enfants de moins de cinq ans ayant
grandi dans un rayon de 5 km autour de l'un des 16 réacteurs
allemands, 37 cas de cancer du sang ont été répertoriés, au lieu des
17 attendus en rapportant la moyenne nationale à ces zones. Soit un
surcroît de 117 %.
Plus la proximité avec une centrale est grande et plus le risque de
cancer infantile est élevé, ajoute l'étude, qui précise que ce risque
reste supérieur dans un périmètre de 50 km.
Ces résultats retiennent d'autant plus l'attention qu'ils tranchent
avec la plupart des enquêtes déjà menées, dans plusieurs pays, sur ce
sujet. "La majorité des études multi-sites ont conclu à une absence
d'augmentation de la fréquence des leucémies au voisinage d'une
installation nucléaire", souligne Dominique Laurier, expert en
épidémiologie des rayonnements ionisants à l'Institut de
radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français.
INTERPRÉTATION DÉLICATE
Une corrélation statistique a pourtant été établie pour des sites
nucléaires particuliers. En Angleterre, un doublement du risque de
leucémie a été mis en évidence chez les enfants des employés de
l'usine de retraitement de Sellafield.
En France, une incidence 6 fois supérieure à la "norme" a été
observée, chez les enfants de 5 à 9 ans, dans un rayon de 10 km
autour de l'usine de retraitement de La Hague (Manche).
L'interprétation de ces résultats reste délicate, un lien statistique
ne signifiant pas un lien de causalité. Plusieurs hypothèses ont été
avancées. Celle d'une exposition du père à des rayonnements ionisants
a été écartée. Celle du brassage de populations autour des grands
chantiers nucléaires, favorisant la transmission de virus - certaines
leucémies sont d'origine infectieuse - reste à démontrer. Les
épidémiologistes invoquent aussi le "hasard" des agrégats statistiques.
De façon générale, observe Dominique Laurier, l'origine d'une
leucémie reste le plus souvent inexpliquée : "Sur les quelque 450 cas
infantiles déclarés chaque année en France, la cause est très peu
souvent connue."
Cette étude relance en Allemagne le débat sur la sortie du nucléaire.
Les Verts et le parti de gauche Die Linke, tous deux dans
l'opposition, ont exigé une fermeture anticipée des centrales. Les
unions chrétiennes CDU-CSU, favorables à un allongement de la durée
d'activité des réacteurs nucléaires, ont mis en garde contre des
conclusions trop hâtives. De même, le ministre de l'environnement,
Sigmar Gabriel (SPD), s'est montré prudent. Il a annoncé qu'il allait
faire procéder à un examen précis de ces résultats. Selon M. Gabriel,
une augmentation du nombre de cancers chez les enfants ne peut pas
être provoquée par la radioactivité issue d'une centrale.
En 2000, le précédent gouvernement SPD Verts avait décidé de mettre
fin à l'activité des centrales d'ici à 2021. Faute d'avoir pu trouver
un compromis, CDU-CSU et SPD, qui gouvernent ensemble depuis 2005,
avaient convenu lors des négociations de coalition de ne pas toucher
à cet accord.
Pierre Le Hir et Cécile Calla (à Berlin)
Article paru dans l'édition du 12.12.07.