La révolution tranquille des flexitariens Le mardi 25 avril 2006
En Amérique du Nord, on estime à 3 % de la population les végétariens
stricts. Pourtant, selon le Vegetarian Resource Group de Baltimore, jusqu'à
40 % des Américains seraient tentés par l'approche flexitarienne ou la
pratiqueraient sans même le savoir.
*Photo Jocelyn Bernier, Le Soleil*
VÉGÉTARIENS À TEMPS PARTIEL
La révolution tranquille des flexitariens
Aux États-Unis, les flexitariens commencent à faire des vagues. Ces
végétariens allergiques aux dogmes alimentaires affirment leur indépendance
en ajoutant occasionnellement à leur diète de la viande et du poisson.
Motivés par leur santé davantage que par les droits des animaux, ils
viennent chambarder la sacro-sainte doctrine végétarienne, qui proscrit
toute consommation d'aliments carnés. Sans le savoir, ces libres-penseurs
facilitent l'acquisition de meilleures habitudes alimentaires à l'ensemble
de leurs compatriotes.
Je suis tombée par hasard sur le terme *flexitarian* l'été dernier en
feuilletant (virtuellement) le dictionnaire anglais MacMillan pour la
traduction d'un livre de recettes. Apparu à la fin des années 90 dans la
langue américaine, il désigne ceux qui mangent une diète surtout
végétarienne, en ajoutant un peu de viande et de poisson pour leurs
attributs santé et le plaisir d'une plus grande variété. Ce néologisme a
même reçu le titre ronflant de nouveau mot le plus utile en 2003 de
l'American Dialect Society parce qu'il contribuerait à changer les habitudes
d'un nombre croissant de personnes par la souplesse qu'il préconise. Comme
il faut compter en moyenne cinq ans avant qu'un mot forgé n'entre dans
l'usage, on peut dire que la tendance au flexitarisme est toute récente.
Mais pas folle du tout.
En Amérique du Nord, on estime à 3 % de la population les végétariens
stricts. Pourtant, selon le Vegetarian Resource Group de Baltimore, jusqu'à
40 % des Américains seraient tentés par l'approche flexitarienne ou la
pratiqueraient sans même le savoir. Car les baby-boomers sont maintenant
très conscients de l'importance de réduire leur consommation de viande pour
vivre mieux et plus longtemps, sans pour autant souhaiter l'éliminer
complètement. Le flexitarisme leur permet de garder le meilleur des deux
mondes en prônant des choix éclairés d'aliments. Car les flexitariens sont
comme les végétariens stricts, en ce sens qu'ils sont des adeptes d'une
saine alimentation.
Même les plus ardents promoteurs de l'approche végétarienne pure et dure,
comme le *Moosewood Cafe* et le *Vegetarian Times* admettent que le
flexitarisme a une influence bénéfique sur la société américaine, à
condition que la viande ou le poisson consommés proviennent de l'agriculture
durable et de pratiques d'élevage respectueuses des animaux. Il n'y a qu'à
voir l'explosion de l'offre de produits végétariens dans les supermarchés,
qui a plus que doublé en cinq ans (de 646 millions $US en 1998 à 1,46
milliard $ en 2003) pour comprendre que le choix de réduire sa consommation
de viande a atteint presque toutes les couches de la société.
*Flexitarisme à la québécoise *
Dès 2001, les nutritionnistes Louise Lambert-Lagacé et Louise Desaulniers
ont fait au Québec la promotion de la formule flexitarienne, sans pour
autant lui donner ce nom. Dans leur livre *Le Végétarisme à temps
partiel*publié aux éditions de l'Homme, elles encouragent cette
pratique considérée
comme une alimentation améliorée parce qu'elle inclut de nouveaux aliments
au lieu d'en exclure.
«Ce livre a été un formidable succès de librairie et continue de bien se
vendre, ce qui prouve que le public est mûr pour le végétarisme», constate
Mme Lambert-Lagacé, jointe au téléphone. «Si on y ajoute une composante de
compromis, comme la possibilité de manger de la viande, de la volaille ou du
poisson à l'occasion, on facilite vraiment la transition vers une
alimentation dans laquelle les végétaux occupent plus de place. Un nombre
croissant de recherches prouve que les aliments gagnants sont d'origine
végétale et le flexitarisme est certainement une manière d'en ajouter à son
alimentation.» Mme Lambert-Lagacé croit aussi que les végétariens stricts
sont allés trop loin. «Une bonne alimentation ne rejette pas les protéines
d'origine animale : le yogourt, les oeufs, le poisson sont les alliés d'une
bonne santé. Pourquoi s'en priver ?»
*Promouvoir la souplesse pour la santé *
Vicky Drapeau est chercheuse en nutrition à l'Université Laval et estime que
si le Québec n'a pas encore embrassé cette approche, elle n'en est pas moins
prometteuse. «Le flexitarisme accorde une plus grande place aux produits
céréaliers à grains entiers, aux fruits et légumes, en plus d'inclure des
protéines complètes et des acides gras essentiels tirés du poisson. C'est la
manière optimale de se nourrir et c'est celle que j'ai adoptée depuis
longtemps.»
Aux États-Unis, les organismes de santé publique ont fait du terme
flexitarisme un véritable outil de marketing en le promouvant auprès de
groupes cibles à risque (cardiaques, obèses, diabétiques) et en l'associant
à la fois à la modération et à la souplesse, deux images qui faciliteraient
l'adoption de meilleures habitudes.
*Portrait-robot du parfait flexitarien*
Comme son cousin végétarien strict, le flexitarien connaît sur le bout des
doigts le Guide alimentaire canadien et ne se fait pas prier pour manger les
5-12 portions quotidiennes de fruits et légumes recommandées.
Le flexitarien lit les étiquettes nutritionnelles attentivement.
Si le flexitarien est allergique aux diktats alimentaires, il est souvent un
adepte de l'agriculture durable, du commerce équitable et de l'achat local.
Il fuit les emballages de plastique et styro mousse et il recycle.
Le flexitarien ne mange pas de sucre blanc, de farine blanche, de pain blanc
et d'aliments transformés, sans pour autant en faire un dogme. Simplement
soucieux de la qualité de ce qu'il consomme, il prépare lui-même ses
légumes, vinaigrettes ou desserts avec du frais.
Le flexitarien apprécie rarement le *fast food* et ignore jusqu'au goût de
la poutine, dont la texture et l'arôme de la sauce en sachet le rebutent.
Le flexitarien limite sa consommation de gras saturés (beurre, fromage,
viande) et n'absorbe presque pas de gras trans contenus dans les produits
industriels.
Épicurien à ses heures, il préfère se régaler avec de bonnes huiles d'olive,
de canola bio, des noix ou de l'avocat.
Le flexitarien fréquente les marchés publics lorsque son horaire le lui
permet et il visite à l'occasion les producteurs et transformateurs
artisans.
Le flexitarien est souvent un cuisinier gourmand qui aime recevoir et
partager ses découvertes, mais sa cuisine est sobre pour mieux mettre en
valeur les produits de saison.
Le flexitarien est généralement un consommateur averti.
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